Qu’as-tu fait de tes anciens ?

Suis-je le gardien de mon frère ? répondit Caïn dans une bouffée aiguë de lâcheté (Gn 4,9)… “Cachez-moi ce sein que je ne saurais voir !” réclamait Tartuffe. Mais qui ignore que personne ne souhaite vivre en EHPAD (moins de 15% y vont de leur plein gré) et aucune famille n’y place les siens de gaité de cœur ? Qui peut dire qu’il ne savait pas ? Qu’il n’a jamais entendu parler des conditions de vie indignes réservées à ceux qui n’ont plus la force de réclamer ? Qui ignore le prix exorbitant soutiré chaque mois aux familles des résidents au point que certains sont contraints de vendre leurs biens ? Quelle est cette société qui transforme le grand âge en une marchandise ? Quand “l’inutile”, autrement dit, celui qui ne sert plus à rien parce qu’il ne produit plus rien, devient l’objet d’un marché lucratif, on comprend le taux de suicide (11%) et de dépression (40%) incroyable chez nos anciens ! Le plus cynique va les pousser dans les bras de ceux qui réclament pour eux “le droit de mourir dans la dignité”. Mais n’y a-t-il pas là une capture indigne du beau mot de dignité pour masquer le souhait de disparaître, pour ne plus peser sur les autres, pour ne plus être un poids mort, pour ne plus culpabiliser de vivre et d’avoir besoin d’aide ?

Mais, me direz-vous, que devrions-nous faire ? Nous lamenter en culpabilisant d’avoir mis nos anciens en EHPAD tout en se disant qu’on n’avait pas le choix ? Dénoncer l’inaction de l’Etat en réclamant toujours plus d’argent public quand les entreprises privées calculent leur bénéfice en nombre de biscottes à supprimer pour rester dans les 4,2 € par jour ? Pointer du doigt le capitalisme dit ultra-libéral (on se souvient du tristement célèbre “mon ennemi c’est la finance”) qui prétend dénoncer l’avidité des rapaces comme une maladie qui ne concernerait que les autres ? Réclamer le droit de mourir “dans la dignité” pour alléger le poids des anciens sur la société ?

Une dose de rappel dans le vaccin contre l’inhumanité ne serait pas forcément superflue et il y a des moments où les mots simples ne manquent pas d’audace : Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères… (Mt 25,40) Moi je suis fier d’être dans une Église où il n’y a pas que des jeunes. Je suis fier d’être dans une Église où il est possible de vieillir et où les cheveux blancs ont toute leur place. Je suis fier de connaître des anciens qui sont là depuis leur enfance et qui savent ce que veut dire : Sois fidèle jusqu’à la mort (Ap 2,3). J’étais fier de mon Église quand elle s’est mise en quatre pour accompagner les anciens pendant le confinement, téléphonant chaque jour par ici, réduisant la fracture numérique par là, essayant inlassablement de maintenir le lien de la communion fraternelle. Je suis fier de mon Église quand elle se bat pour que la dignité ne soit plus une marchandise et la dépendance une occasion de faire du profit sur le dos des petits. Je suis fier de mon Église quand elle affirme haut et fort que l’inutile est indispensable, qu’il n’est pas nécessaire de faire pour être, que le fait d’avoir besoin des autres fait partie de la beauté de l’humain. Et je prie pour que, quand le Seigneur reviendra, nous puissions lui dire fièrement : Regarde Seigneur, nous n’avons perdu aucun de ceux que tu nous as confiés. (Jn 17,12)

Pasteur Samuel AMEDRO

 

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