Vers une Église plus accueillante et interculturelle
Dans un contexte marqué par une diversité culturelle croissante, l’enjeu de l’interculturalité devient de plus en plus prégnant. Comment favoriser l’intégration des nouveaux arrivants sans gommer la richesse de leurs traditions ? Comment permettre un dialogue fécond entre sensibilités différentes ? Comment faire de cette diversité une véritable force pour l’Église d’aujourd’hui et de demain ? Cette question n’est pas seulement un sujet théorique pour moi, mais une réalité vécue. Originaire de la République Centrafricaine, un pays marqué par des années de conflits ayant fortement impacté les équilibres sociaux et religieux, j’ai rapidement perçu l’importance du dialogue interculturel et interreligieux dans les processus de vivre-ensemble et de reconstruction du tissu social. Cette conviction m’a conduit à développer cette réflexion au cours de ma formation en dialogue des cultures et des religions à l’Institut Œcuménique de Théologie Al Mowafaqa (Maroc/2015), ainsi que lors d’une formation sur la gestion du fait religieux et la citoyenneté avec Emouna (France/2017). Mon parcours pastoral en France m’a ensuite permis de confronter ces formations à la réalité du terrain. C’est pour répondre à ces défis que la Région parisienne de l’Église Protestante Unie de France a souhaité engager une réflexion et initier une démarche concrète autour de l’interculturalité dans nos paroisses. Cette mission m’a été confiée avec pour objectif d’accompagner les Églises locales dans cette démarche, non pas en imposant un modèle unique, mais en écoutant, en recueillant les expériences de chacun et en proposant des outils adaptés à chaque contexte.
Je suis marié père de famille et je vis en France depuis de nombreuses années. Titulaire d’un doctorat en théologie dogmatique obtenue à l’Institut Protestant de Théologie (IPT), Faculté de Paris, mon parcours académique repose sur plus de quatorze années d’études et d’engagement théologique. Mes engagements d’enseignement dans des institutions théologiques telles que la Faculté de théologie évangélique de Bangui (FATEB), l’Institut Œcuménique de Théologie Al Mowafaqa à Rabat et la Faculté universitaire de Théologie protestante de Bruxelles (FUTP) – m’ont permis d’affiner une approche de la théologie protestante et de développer une sensibilité particulière aux initiatives interculturelles et œcuméniques, utiles dans un monde de plus en plus globalisé. Mon parcours professionnel en France et en Centrafrique m’a conduit à occuper divers postes de responsabilité : pasteur vicaire pour l’Union des Églises Protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL, 2018-2020), suffragant pour l’Église Protestante Unie de France (EPUdF) dans les régions Nord-Normandie et Thiérache (2016-2017).
Depuis septembre 2024, j’ai rejoint à mi-temps l’ONG catholique Efesia en tant que Coordinateur des Rencontres interculturelles et des partenariats internationaux. Dans ce cadre, j’organise des rencontres interculturelles en Europe et en Afrique afin de créer des espaces de dialogue constructif et de promouvoir la compréhension entre différentes cultures et confessions. Ma théologie s’inspire profondément de la pensée de Jürgen Moltmann, théologien protestant allemand à qui j’ai consacré ma thèse de doctorat. Il écrit : « La théologie chrétienne dépasse les frontières confessionnelles et les barrières culturelles. » Ces paroles résonnent au plus profond de ma conviction théologique et de mon engagement pastoral. Dans le Christ, il n’y a ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme : tous sont un en Lui. C’est cette unité transformatrice que je souhaite poursuivre dans mon ministère et mes actions au service de l’Église. Sur le plan personnel, je n’ai jamais ressenti le besoin de défendre ma propre confession face à celle d’autrui. J’ai toujours accueilli avec curiosité et respect les traditions chrétiennes différentes de la mienne, les considérant comme complémentaires à ma propre foi. Ma vocation de pasteur protestant n’est pas une limitation, mais un point de départ. Être « protestant », dans son sens le plus profond, c’est penser et agir de manière œcuménique, car l’Évangile du Christ est par essence œcuménique.
L’interculturalité ne se limite donc pas à la simple présence de différentes cultures au sein d’une même paroisse. Elle implique un véritable dialogue, une volonté d’apprentissage mutuel et une démarche de co-construction. Trop souvent, les tensions liées aux différences culturelles restent implicites, non exprimées, et peuvent freiner la vie paroissiale. Pourtant, l’expérience montre que lorsqu’elles sont abordées avec sincérité et bienveillance, ces différences deviennent des opportunités de croissance spirituelle et ecclésiale. Loin d’être un problème à gérer, la diversité est une richesse à valoriser. Une Église qui prend en compte ses différentes sensibilités culturelles est une Église plus vivante, plus accueillante et plus fidèle à l’Évangile. C’est dans cet esprit que je souhaite œuvrer aux côtés des paroisses qui le souhaitent. Dans cette mission, il s’agit avant tout de donner la parole aux paroisses concernées. Quelles sont leurs attentes ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? Quelles initiatives existent déjà et mériteraient d’être renforcées ? Mon rôle est de recueillir ces témoignages, d’aider à identifier les enjeux spécifiques à chaque contexte et de proposer des pistes de réflexion et d’action adaptées. Concrètement, cette mission repose sur plusieurs axes interconnectés. Elle implique d’abord de favoriser l’écoute mutuelle et le dialogue, en créant des espaces où chacun peut exprimer son vécu et ses attentes. Elle vise également à doter les paroisses d’outils pratiques, des ressources et des formations qui leur permettront d’aborder l’interculturalité avec confiance et clarté. Elle comprend aussi un accompagnement spécifique des ministres et des conseils presbytéraux afin de leur fournir un éclairage théologique et pastoral sur l’intégration de la diversité dans la vie de l’Église. Elle entend ainsi créer des lieux d’échange pour les pasteurs issus d’horizons culturels variés, afin qu’ils puissent partager leurs joies, leurs défis et leurs expériences dans leur ministère au sein de l’Église Protestante Unie de France. L’interculturalité ne peut donc être pensée dans l’isolement. Elle se construit dans la rencontre, dans l’échange d’expériences et dans l’ouverture aux réalités des autres. Je ne viens pas dans une paroisse apporter des réponses toutes faites, mais proposer un espace où nous pourrons ensemble ouvrir les chemins de la diversité et du vivre-ensemble. Chacune de nos paroisses est porteuse d’une histoire, d’une sagesse et d’une expérience uniques. C’est à cette richesse collective que je fais appel.
Si une paroisse a été confrontée à des défis liés à l’interculturalité, si des pratiques porteuses de sens ont été développées ou si une paroisse souhaite simplement s’engager dans cette réflexion, chaque expérience compte. Les vécus, les questionnements et les propositions de chacun nourriront ce travail commun et permettront d’imaginer ensemble des pistes adaptées aux réalités locales. L’Église de demain ne se construira pas sans ses membres. Elle prendra forme dans notre capacité à nous écouter, à nous comprendre et à cheminer ensemble. Osons donc cette aventure de la rencontre et du dialogue. Faisons de nos paroisses des lieux où la diversité ne divise pas mais enrichit, où l’altérité n’effraie pas mais éclaire, où chacun trouve sa place et contribue à la vie commune.
Rodolphe Gozegba de Bombémbé
Chargé de mission pour l’interculturalité