Je pourrais essayer de vous convaincre du bienfondé de cette démarche qui consiste à vouloir interroger les membres de notre Église pour ne pas fonder nos projets et nos décisions sur nos seules intuitions et nos habitudes (parce que « on a toujours fait comme ça »), ou sur notre doigt mouillé et nos biais cognitifs qui, bien souvent, nous poussent à généraliser l’avis des quelques-uns qui crient plus fort que les autres. Je pourrais essayer de vous persuader qu’il est toujours intéressant de donner la parole aux gens, d’arrêter de penser à leur place et que cette attitude d’écoute devrait être première quand notre Église prétend vouloir se mettre au service des autres. Je pourrais essayer de vous expliquer qu’un peu de professionnalisme ne peut pas nuire à notre manière de penser l’Église et qu’il ne suffit plus de « bricoler » des outils amateurs quand on peut bénéficier de compétences reconnues pour leur efficacité. (Je sais… je sais que le mot « efficacité » est lui-même un mot à la limite du péché !) Je pourrais vous dire aussi qu’avec ses 3 200 réponses, c’est 30 % des foyers qui participent à la vie financière de notre Église qui se sont exprimés et 15 % des familles connues dans les paroisses de la région parisienne. Autrement dit : l’assise des informations récoltées semble très solide pour imaginer notre avenir. Je pourrais vous dire enfin que les chiffres et les données collectées ne constituent qu’une matière première qui ne nous épargnera pas le travail d’analyse et de prospection. Les décisions stratégiques du Synode ne pourront venir qu’au bout du processus de discernement, de réflexion, de discussion et de décision collégiale.
Je pourrais essayer de « justifier » a posteriori mais ce serait rater la question de fond que je posais en commençant…
J’ai en tête cette question posée à l’apôtre Paul à propos des viandes sacrifiées aux idoles dans la 1ère lettre aux Corinthiens au chapitre 8. Paul a raison de nous rappeler que si nous savons pertinemment qu’il n’y a pas d’idole parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu, cette connaissance rend orgueilleux celles et ceux qui l’utilisent sans amour. Cette interpellation résonne avec ce que dit Jésus dans l’Évangile de Matthieu (Mt 15,11) : Ce qui rend un homme impur, ce n’est pas ce qui entre dans sa bouche, mais c’est ce qui en sort. Autrement dit, ce que l’homme fabrique n’est pas impur en soi. Et il ne faudrait pas céder trop vite à la tentation de la pureté en refusant de nous « souiller » les mains parce que nous utiliserions certains outils. Seul l’usage qui en est fait est potentiellement problématique. Il est vrai qu’il arrive souvent qu’ils soient utilisés comme des idoles mais ce n’est pas obligatoire. Quel que soit ce que l’homme dit, fait ou produit (les sondages, la politique, l’argent, la science, l’intelligence artificielle, etc.), il est d’abord nécessaire de le désacraliser pour lui retirer sa prétention à prendre la place de Dieu et lui rendre sa vocation d’instrument. Je prétends même qu’il est nécessaire de « profaner » les outils, c’est-à-dire les rendre à leur vocation profane, pour pouvoir ensuite les « sanctifier », c’est-à-dire de les rendre saints en les consacrant au projet de Dieu pour le monde. Les outils sont là, produits de l’ingéniosité humaine : Gloire à Dieu ! Utilisons-les sans honte mais sans les idolâtrer. Consacrons-les à dire l’amour de Dieu pour le monde. Et rendons grâce pour l’intelligence de l’homme.
Pasteur Samuel AMEDRO