Edito vidéo – Mars 24

Cliquez sur l'image !

Afin de visualiser les vidéos il est nécessaire d'accepter les cookies de type analytics

Cesser d'accepter l'inacceptable

J’étais là… Oui j’étais là quand cet imam a été expulsé. Alors que j’aurais pu dire à peu près la même chose que lui dans une de mes prédications, dire que les drapeaux brandis dans les matchs de foot comme partout ailleurs n’ont aucune valeur aux yeux de Dieu et que bien souvent ils ne servent qu’à attiser la haine entre les hommes, le drapeau tricolore y compris.  

 

J’étais là… Oui j’étais là quand l’extrême droite est arrivée au pouvoir d’abord au Parlement européen puis en France comme elle est arrivée par les urnes un peu partout dans le monde… Oui j’étais là quand, pour essayer de contenir sa montée inexorable, on a remis en question le droit du sol, quand on a fait semblant de confondre migrants et délinquants, quand on a fait d’une solution au double problème du manque de main d’œuvre et de renouvellement démographique, une soi-disant menace pour notre identité et notre culture. 

 

J’étais là, oui, j’étais là quand certains responsables politiques se sont mis à justifier l’indéfendable. Était-ce de l’aveuglement idéologique ou par pur cynisme clientéliste ? Je ne saurais le dire mais on a vu des féministes se battre pour le droit de voiler des femmes, des gens de gauche prendre fait et cause pour l’antisémitisme, des militants antiracistes prendre la défense de fanatiques islamistes, des défenseurs du climat justifier le recours à la violence au nom de la justesse de leur cause… 

 

J’étais là, oui, j’étais là quand, systématiquement, tous les symboles de l’État, de la politique, de l’autorité, des institutions ont été attaqués, caillassés, dénigrés, insultés, agressés : des profs, des maires, des médecins, des gendarmes, des pompiers, des infirmières et même des associations d’entraide… Oui j’étais là quand on s’est mis à inventer les mots d’ensauvagement ou de décivilisation… 

Oui j’étais là. J’ai assisté à tout comme une grenouille qui ne réagit pas quand on chauffe progressivement l’eau de son bain pour la cuire à basse température… Je suis le témoin privilégié d’une époque incroyable de communication intensive jusqu’à la nausée. On savait tout. Tout était là sous nos yeux anesthésiés. 

 

« Et tu as fait quoi Grand-Papa ? » me demande alors mon petit-fils les yeux remplis d’une attente pleine d’admiration.  

 

Je ne voudrais pas mourir de honte quand il me faudra lui rendre des comptes comme dans la parabole des talents (Mt 25,14-30). Je ne voudrais pas avoir à lui dire qu’il n’y avait rien à dire, rien à faire, que la foi chrétienne est incapable ne serait-ce que d’influencer un monde qui déraille. Et pourtant, je me suis tu. Était-ce de la compromission ou de la sidération ? 

 

J’ai alors pensé au silence de Dieu lui-même pendant toute la Passion jusqu’au cri de détresse de son Fils sur la Croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46). Parce que j’étais là aussi ce jour-là. Oui j’étais là quand il a été dénoncé par ses coreligionnaires scandalisés qu’il ose chasser les marchands du Temple à coups de fouet. J’étais là en effet quand il a été trahi par les siens, renié 3 fois par son plus proche disciple, condamné à mort au cours d’un procès truqué par la collusion du politique et du religieux. J’étais là quand il a été mis sur la Croix… 

 

Et je me dis que voir son fils mourir doit faire partie de ces grandes douleurs qui ne supportent pas les consolations faciles. Et c’est vrai que la sagesse nous rappelle qu’il y a un temps pour tout et un temps pour chaque chose sous le soleil : « Il y a un temps pour se taire et un temps pour parler. Il y a un temps pour aimer et un temps pour haïr. Un temps de guerre et un temps de paix. » dit l’Ecclésiaste (Eccl 3,7-8) Alors quel est ce temps que nous traversons ? Est-ce le temps du Carême et du jeûne devant le trop plein de communication ? Un temps de silence circonspect devant la complexité d’un monde qui nous échappe ? 

 

Et pourtant, les 4 Évangiles nous parlent tous d’un homme en colère qui décide de mettre fin à une situation intolérable, au péril de sa propre vie. Jésus chasse les marchands du Temple à coup de fouet. Il renverse les tables et jette l’argent par terre. Visiblement, le temps pour lui n’est pas un temps pour se taire en détournant le regard mais pour parler et agir au nom de son Père. Un temps de colère et de passion pour mettre fin à l’insupportable et au scandaleux. Un temps pour dire non et pour s’interposer, pour se mettre en travers comme le disait André Dumas dans l’une de ses prières. Un temps pour aimer le monde en paroles et en actes.  

 

Il y a visiblement quelque chose qui est intolérable pour Jésus comme si on touchait là à quelque chose de sacré, de fondamental, d’essentiel. Parce qu’au fond, je me dis que, devant notre apathie et notre silence complice, quand l’immobilisme est en marche et que rien ne saurait l’arrêter, il faut peut-être revenir à la source : à quel moment penserons-nous que l’essentiel est en jeu ?  

 

En chassant les marchands et les animaux, en renversant les tables et mettant l’argent par terre, Jésus empêche les pèlerins d’accomplir les sacrifices qu’ils sont venus faire pour fêter la Pâque et il sera condamné à mort pour cela, preuve s’il en est, que ce jour-là il a touché quelque chose d’essentiel. Et il le fait en pleine conscience : « Personne ne me prend la vie, mais je la donne volontairement. » disait-il quelques temps auparavant (Jn 10,18). Il ne le fait pas tant pour dénoncer l’emprise de l’argent et du consumérisme comme on le pense souvent par projection anachronique. Il le fait pour s’opposer au sacrifice comme moyen de rencontrer Dieu. Comme le disaient déjà en leur temps les prophètes Esaïe (1,13ss) : « Cessez de m’apporter des offrandes, c’est inutile ; cessez de m’offrir la fumée des sacrifices, j’en ai horreur » ou Amos (5,21-24) :  « Je ne peux plus sentir vos assemblées solennelles, ni les sacrifices complets que vous venez me présenter. (…) Je ne regarde même pas les veaux gras que vous m’offrez en sacrifice de paix. (…) Que le droit jaillisse comme une source ! Que la justice coule comme un torrent intarissable ! »  

 

Dieu n’est pas dans le sacrifice. Il n’en veut pas. Il n’en demande pas. Parce qu’il nous pousse à sacrifier l’essentiel, comme Abraham prêt à sacrifier son fils unique Isaac. Et la question se pose à chacun d’entre nous, ici et maintenant. Quel est le sacrifice que je suis en train de faire en moi-même et qui me pousse à accepter l’intolérable ? Qu’ai-je sacrifié en moi qui m’empêche de dire non, de me lever et de m’interposer devant l’insupportable ? Qu’ai-je donc fait taire en moi qui m’a fait perdre cette boussole qui m’indique l’essentiel ? Me permettez-vous d’esquisser un élément de réponse… Peut-être est-ce l’amour que nous avons sacrifié… 

 

Pasteur Samuel AMEDRO

Contact