Edito vidéo – Mai 24

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C’est quoi la dignité ? Comment ça se construit ? Qu’est-ce qui rend une vie digne d’être vécue ?

 

Il n’a échappé à personne que l’Église catholique vient de publier une grande déclaration sur la dignité infinie de l’humain créé à l’image de Dieu et appelé à la vie éternelle. Il s’agit pour elle de pointer « ces violations graves » de la dignité humaine que sont, pêle-mêle, la pauvreté, la guerre, la migration, les violences contre les femmes, la théorie du genre, les abus sexuels, les violences numériques, le handicap, etc.

 

Moi je débarque dans cette discussion avec une expérience et un agacement.

 

Une expérience d’abord. Celle d’une rencontre avec un clochard immonde croisé aux abords de l’Église Saint-Sulpice à Paris. Quand je dis immonde, je ne mâche pas mes mots : il pue d’une manière horrible à tel point qu’il est impossible de l’approcher à moins de 3 mètres. Il se traîne dodelinant sous un monceau innommable de sacs plastiques, d’oripeaux déchirés, de guenilles infectes qui le transforment en un tas d’immondices déambulant. Quiconque s’avance, sans doute pétri de bons sentiments, pour lui donner la pièce se fait immédiatement hurler dessus et agonir d’injures. Visiblement cette personne se sent offensée dans sa dignité…

Un agacement aussi. Au moment où la société réfléchit à la fin de vie, aux soins palliatifs et autres questions tellement complexes de l’aide à mourir, je suis passablement agacé par ce que je ressens comme une pression incessante et partisane des médias. Pire, je ne supporte plus qu’une association de militants pour l’euthanasie s’approprie et capture pour son combat le mot de dignité en prenant le nom d’« Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité ». Serait-il moins digne de mourir autrement ? Est-ce qu’on perd sa dignité quand on souffre ou qu’on se trouve à dépendre des autres ?

 

Bref, dans un sens ou dans l’autre, je n’aime pas qu’on pense à ma place et je crois savoir que c’est un sentiment largement partagé à l’image de mon clochard de tout à l’heure. Et c’est sans doute là une première approche de la dignité : laissons les gens penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes en misant sur leur capacité proprement humaine à dire « je ». Il y a au fond de nous cette intuition qui met l’humanité à part des autres créatures par la pleine conscience de soi. Comme le décrit très bien le philosophe canadien Charles Taylor dans son livre « Les sources du moi », réfléchir à ce qui rend notre vie digne, c’est être capable de juger en conscience de ce qui est bien ou mal, ce qui vaut ou non la peine d’être vécu, ce qui distingue l’essentiel du futile ou du secondaire. La dignité de notre vie se construit par l’intériorisation et la réflexion profonde et personnelle qui pose la question de l’unité de son existence, ce qui l’arrache à l’impression de vacuité ou d’inutilité, au sentiment d’impuissance et à la sensation d’être mauvais ou tout simplement exclu. Il en va donc de l’amour de soi en pleine conscience de qui je suis, de ce que je vaux et de ce qui est digne ou non pour ma vie.

 

Mais dans le même temps, il ne faudrait pas être dupes de notre culture moderne de l’individualisme qui pense de manière très autocentrée. Et il ne faudrait pas réduire la dignité à la qualité de vie minimale en termes d’autonomie et de capacité à s’épanouir et à mener une vie pleine et entière. Ce qui fait une vie bonne et digne se définit aussi dans le dialogue voire la confrontation avec des interlocuteurs. Personne ne se fabrique tout seul dans son coin et l’enfant-sauvage qui peuple nos contrées est incapable de ressentir ce qui est bien ou mal et il ne vit que dans la pulsion de son agressivité directement branchée sur sa frustration. Ce que nous sommes dépend aussi des autres et se définit au sein d’une communauté qui nous façonne et nous reconnaît comme l’un des siens. Le regard posé sur nous d’estime, de considération et de respect ou à défaut de dénigrement, de mépris et d’humiliation peut nous faire vivre ou mourir. La dignité se joue donc également dans l’amour que nous recevons des autres.

 

C’est sans doute à mes yeux l’enjeu fondamental de ce commandement de Jésus qui nous demande d’aimer notre prochain comme nous-même. Parce qu’il dit là quelque chose de l’inaliénable dignité de l’humain qui se construit au carrefour de l’amour de soi et de l’amour des autres. De l’amour de soi pour être capable d’aimer les autres. Il y a là comme une chaîne vertueuse qui s’instaure entre Dieu, moi et l’autre, un cercle d’amour réciproque qui se répand de proche en proche et qui permet de se sentir digne à ses propres yeux et aux yeux des autres. Y a-t-il plus grande source de notre dignité que d’aimer et de se savoir aimé ?

 

Pasteur Samuel AMEDRO

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