Édito vidéo – Juillet 24

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Jamais je n’ai autant hésité avant de prendre la parole. J’ai tellement peur de rajouter de la division à la division, de parler trop vite avec arrogance en affirmant trop par des paroles dures qui s’opposent aux paroles dures, utiliser des mots qui coupent, qui tranchent, qui blessent, qui humilient. Tellement peur d’ajouter du feu au feu. 

 

Et pourtant tout en moi se révulse devant l’arrivée aussi prévisible qu’inexorable de l’extrême droite au pouvoir. En regardant cette affiche électorale photographiée à Lagny-sur-Marne qui propose comme programme politique de « donner un avenir aux enfants blancs », on se dit que la « bête » est lâchée et on se demande bien qui pourra l’arrêter.  

 

Et pourtant j’ai tout aussi peur de la gauche extrême qui brutalise intentionnellement notre vie politique par leur stratégie « du bruit et de la fureur », par les purges staliniennes de tous leurs opposants internes, par leur détestation des médias, des « riches » et de tous ceux qui ne pensent pas comme eux, par la folie de leurs promesses électorales démagogiques, par l’antisémitisme bien réel de leurs prises de position par clientélisme du vote musulman. 

 

Et pourtant je suis terriblement agacé par ce qui m’apparaît comme de l’immaturité politicienne et totalement déconnectée d’un chef de l’Etat qui se réjouit d’avoir « lâché sa grenade dégoupillée dans les jambes » des autres partis politiques comme s’il jouait à un jeu vidéo, sans conscience réelle de notre société au bord de l’implosion et de la souffrance bien réelle des gens avec lesquels il semble jouer.

Mais j’ai en tête 30 ans de déclarations enflammées de mon Église contre l’extrême-droite qui s’oppose en tout point à mes convictions chrétiennes… Avec quelle pertinence ? Quelle efficacité ? 

 

J’ai aussi en tête qu’il y a dans mon Église et autour de moi des personnes qui sont mes frères et mes sœurs qui sont traversés de sentiments contradictoires. 

 

Il y a ceux qui se réjouissent et qui, comme en 1981, vivent ce moment comme une victoire à portée de main, une revanche sur la frustration de se sentir abandonnés, déconsidérés. 

 

Il y a ceux qui ont peur du monstre qui s’est réveillé et apparaît au grand jour totalement décomplexé et sans plus aucun frein. 

 

Il y a ceux qui sont en colère et qui cherchent des coupables chez les autres : Macron, le capitalisme, les étrangers, les juifs, que sais-je encore… 

 

Il y a ceux qui s’en moquent, qui ne voient pas le problème parce qu’ « on ne les a jamais essayé », qui ne perçoivent pas la gravité du moment parce que ça ne changera rien à leur quotidien et que, de tout façon, ils n’iront pas voter. 

 

Il y a ceux qui se croient au-dessus de la mêlée et qui commentent l’actualité en s’estimant purs de toute compromission et de toute responsabilité… 

 

Chacun est convaincu que ce qu’il perçoit de la situation est une évidence qui devrait s’imposer à tous. Et ceux qui ne l’acceptent sont soit fous, soit bêtes, soit méchants. 

 

Et puis il y a moi, sans doute un peu au croisement de tous ces conflits intérieurs, pris dans la complexité d’un monde qui me traverse. Pris entre la tentation de la pureté au nom d’une éthique de conviction qui nous ferait jouer la politique de la chaise vide et la tentation de la guerre sainte qui nous ferait entrer dans le combat politique au nom d’une éthique de responsabilité… Pour le dire autrement, je me demande si, face aux paroles dures des extrêmes, nous sommes condamnés soit à une parole molle, vaguement consensuelle, un peu gentille pour tout le monde et surtout dérisoire soit à une parole dure qui clive à son tour en disant « voilà notre camp » et c’est le camp du Bien ! 

 

Je veux faire ici une déclaration d’humilité : je n’ai pas de solution facile, je ne pense pas à la place des autres, je ne veux pas me faire donneur de leçon. Mais je ne renonce pas pour autant à mes convictions. 

 

Je fais, comme nous tous, le constat de cette société qui parle trop. Il y a en moi et autour de moi trop de mots, trop de bruit, trop de brouhaha. Il y a trop de jugements, trop de certitude, trop d’affirmations péremptoires, avec de l’idéologie et de l’affect, trop de promesses et trop d’invectives, trop de division en nous et entre nous… Et je ressens la nécessité et l’urgence de nous offrir un temps de retrait, de silence et de respiration pour revenir au Centre. Rentrer à l’intérieur de soi pour vérifier ce qui nous habite. Et ça peut être la peur, c’est OK. Il faut aussi l’accueillir parce que c’est une ombre et qu’on a besoin de rentrer dans la profondeur de nos ombres. Et de se poser derrière la question : « Est-ce que c’est vraiment ça que je veux ? » Revenir en soi, au plus profond de soi, à l’essentiel, à ce qui nous fonde, à ce qui nous structure, ce qui fait que l’on est ce que l’on croit, et que l’on fait ce que l’on est.  

 

C’est dans ce centre qu’il nous faut accueillir la parole de Jésus comme une promesse et un chemin : « C’est ma paix que je vous donne. Ne soyez pas troublés, ne soyez pas effrayés » (Jean 14, 27) Cette parole résonne dans notre intimité, dans notre cœur, mais elle nous est adressée ensemble. Voilà la vocation des chrétiens, quelle que soit leur confession, contribuer à faire de l’Église non pas un lieu où l’on martèle des idéaux, mais un lieu où l’on peut dire les souffrances subies sans se sentir jugé, mesuré, comparé. Chaque communauté chrétienne devrait pouvoir devenir progressivement une communauté de guérison, de paix, de résurrection. La paix n’est pas d’abord quelque chose que nous devons faire et produire pour les autres. La paix, c’est d’abord quelque chose dont nous avons besoin au cœur même de notre existence. Nous ne serons des artisans de paix que quand nous aurons fait la paix avec nous-mêmes. 

 

Alors, peut-être nous trouverons des réponses et des solutions. Alors peut-être nous trouverons une attitude juste, nos paroles seront habitées et nos actions inspirées. En commençant par nous-mêmes, puis l’Église, de proche en proche, nous pourrons contaminer le monde de la puissance de réconciliation qui vient du Christ : « Tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ, et qui nous a confié la tâche d’en amener d’autres à la réconciliation avec lui : en effet, par le Christ, Dieu agissait pour réconcilier le monde avec lui, sans tenir compte des fautes des humains. Et il nous a établis pour annoncer cette œuvre de réconciliation. Nous sommes donc des ambassadeurs envoyés par le Christ, et c’est comme si Dieu lui-même adressait son appel par nous : nous vous en supplions, au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu. » (2 Cor 5, 18-20) 

 

Ensemble, nous pourrons imaginer un monde différent, affirmer ce qu’on ne veut pas en rêvant le monde nouveau. Nous pourrons poser les actes qui transforment le monde, des paroles et des actes qui posent un contre-modèle de société à la manière de Saint François d’Assise… 

 

Là où règnent les murs de séparation, que nous puissions ouvrir des brèches et ménager des passages clandestins. 

 

Là où règne la colère et le ressentiment, que nous puissions offrir des havres de paix et des paroles d’apaisement. 

 

Là où règne le chacun pour soi de l’égoïsme nationaliste, que nous puissions poser des actes d’entraide et de solidarité. 

 

Concrètement ? Voici un exemple vécu pour finir qui pourrait vous inspirer… J’étais dimanche dernier à Villeneuve Saint-Georges après un formidable culte festif « pour les nations » qui rassemblait des évangéliques tamouls, des luthériens malgaches et des réformés de toutes les nations. Revenant à la gare RER, je me retrouve coincé avec un ticket neuf qui ne fonctionnait pas. Agacé, je refuse de payer à nouveau et je me mets à passer sous le tourniquet pour forcer le passage… Et là je me retrouve coincé par la seconde porte ! En costume cravate, je rebrousse chemin à 4 pattes sous le tourniquet quand une maman africaine m’ouvre la porte et me glisse avec un sourire : « Il faut s’entraider maintenant… » et elle disparaît, comme un ange sur mon chemin.  

 

Viens, mon frère, mon amie. Viens. J’essaierai d’ouvrir autant de portes que possible devant tes pas, sans présager de résultats. Cela participe déjà de notre commun esprit de résistance ! Rien n’est définitivement perdu. L’espérance chevillée au corps et à l’âme, nous avançons ensemble parce que, plus qu’une nécessité, c’est un art de vivre bien, et une manière d’être ce que l’on croit. 

 

Pasteur Samuel AMEDRO

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