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Pris par le temps ?
Voilà la rentrée. La machine redémarre. S’est-elle jamais arrêtée ? N’avez-vous jamais eu l’impression de remonter désespérément une pente qui s’éboule sous vos pas ? D’aller toujours plus vite pour rester à la même place ? Et si nous arrêtons une seconde de courir – après le travail, nos courriels, nos rendez-vous, nos obligations, notre argent, après le temps qui file –, nous tombons. Les autres ne vont pas nous attendre, pensons-nous…
Voilà le portrait de notre société ultramoderne dressé par le sociologue allemand Harmut Rosa. Le temps s’accélère et nous dévore, comme hier Cronos ses enfants. L’accélération de l’innovation technique – au travail, sur les écrans, dans les transports, la consommation – a mené à l’accélération effrénée de notre rythme de vie. Puis a précipité le changement tout autour de nous dans la société. Rien n’y résiste. Les métiers changent en quelques années, les machines en quelques mois, aucun emploi n’est assuré, les traditions et les savoir-faire disparaissent, les couples ne durent pas, les familles se recomposent, l’ascenseur social descend, le court terme règne, les événements glissent sans laisser de trace.
Si vous rentrez de congés ces jours-ci, déjà tous, vous comme moi, nous nous demandons comment nous allons réussir à venir à bout de notre liste de choses « à faire ». La boîte mail est pleine, des factures à régler, les dernières fournitures scolaires à acheter, l’inscription à la salle de sport… Alors on rationalise le temps de la journée : on mange plus vite, on prie plus vite, on réduit les distances, on accélère les déplacements, on s’essaie au « multitasking », l’exécution simultanée de plusieurs tâches. Et partout cette idéologie implicite : « le temps c’est de l’argent ! » Le gaspiller serait un péché disait Max Weber en pointant l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme.
L’impression de ne plus avoir le temps, que tout va trop vite, que notre vie file et que nous sommes impuissants à ralentir. Monte en nous un sentiment d’urgence permanente, de culpabilité à l’idée de « ne plus pouvoir suivre », et avec lui, le stress, l’angoisse, l’agressivité. A cela s’ajoute le sentiment que nous ne voyons pas passer nos vies, qu’elles nous échappent. On accumule des ressources, des livres à lire, des voyages à faire, des amis à inviter « pour la retraite », pour quand on aura le temps de vivre… enfin ! Ce qui fait aller vraiment mal, jusqu’au « burn-out » et parfois au suicide, c’est le sentiment général de courir de plus en plus vite sans jamais aller nulle part, simplement pour faire du sur-place, juste pour rester dans la course, survivre…
Certains imaginent trouver la solution par encore plus d’inventivité technologique. Quelques-uns cherchent à sortir du système pour tenter de reprendre le contrôle. Nombreux sont ceux qui désespèrent de la politique et renoncent à vouloir organiser et maîtriser ce qui nous échappe. Mais il est de plus en plus évident que nous sommes tous embarqués dans une course folle vers l’abîme catastrophique, qu’il soit écologique, militaire ou révolutionnaire…
Je crois, moi, qu’il y a un temps qui échappe à cette accélération. Un temps qui n’est ni celui de la technique, ni du rythme de vie, ni de la société. Un temps qui ne connaît ni obsolescence programmée, ni burn-out, ni sentiment d’être étranger à son propre monde. Un temps hors du temps. Un temps d’éternité et de sacralité. Un temps qui ne s’écoule pas parce qu’il nous met en résonance avec l’essentiel de notre existence, ce qui est au fondement et à l’ultime. Un temps qui nous permet de reprendre pied dans notre vie, dans notre temps. Un temps que connaissent tous les amoureux, tous les artistes et tous les spirituels. L’Ecclésiaste affirme qu’il y a un temps pour tout et pour chaque chose sous le soleil… Et s’il y avait un temps « pour nous » ? Et si nous préservions pour nous, nos enfants et nos proches, ce temps d’éternité qui nous permet de rencontrer Dieu et d’échapper au désespoir d’une situation insoluble ? Et si, cette année qui commence, nous décidions de prendre le temps d’aller régulièrement au culte ? Non pas « pris par le temps » mais « prendre le temps »…
Pasteur Samuel AMEDRO