Afin de visualiser les vidéos il est nécessaire d'accepter les cookies de type analytics
Chacun pour soi ?
Chacun pour soi ? Qu’est-ce qui nous pousse à tirer dans le même sens ? Quand on regarde les forces centrifuges qui nous traversent et nous éloignent les uns des autres : les anciens et les jeunes, les hommes et les femmes, les riches et les pauvres, les vax et les anti-vax, les agriculteurs et les écolos, les autochtones et les migrants, les européens et les africains, les évangéliques et les libéraux, les chrétiens et les musulmans, etc. Qu’est-ce qui nous pousse encore à avancer dans la même direction ? J’entends ici l’appel de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Philippiens : Là où nous en sommes, avançons dans la même direction ! (Phi 3,16) Et pourquoi ça ? Pour quelle raison le ferions-nous ?
Dans le monde atomisé du chacun pour soi (sa famille, son clan, sa race, sa classe sociale, son église, que sais-je encore) ce qui nous manque c’est un « nous » qui nous dépasse, le sentiment d’appartenir à une communauté qui va au-delà de nous-même, qui nous invite à lever le nez du guidon, à regarder au-delà de nos réalités, de nos difficultés, de nos contraintes, de nos limites, de nos obligations et des pressions que nous subissons. Et regarder au-delà de nous-même, aujourd’hui c’est être prophétique. C’est apprendre à regarder l’avenir avec confiance.
Mais quand tout le monde a peur de perdre, d’être déclassé, dépassé, doublé… Quand les jeunes refusent de faire des enfants pris par l’éco-anxiété… Quand la démocratie est en panne parce que les gens ne se sentent ni entendus ni reconnus ni représentés et qu’on assiste, impuissants, à la victoire des extrêmes… Quand l’économie est une lutte où ce sont toujours les mêmes qui gagnent, un combat perdu d’avance entre chinois et américains… Je n’ai qu’une envie c’est de pousser un cri qui dit : STOP ! Lève le regard : il y a un « nous » qui dépasse nos inquiétudes et qui rend le monde moins hostile, moins dangereux. Il y a un « nous » qui nous permet d’avancer ensemble dans la même direction en confiance.
Oui, il nous faut réfléchir à ce « nous » qui fait de nous une communauté.
En 1ère approximation, on peut se dire que la communauté sert à défendre l’intérêt général. Mais je crois qu’il faut bien distinguer l’« Intérêt général » du « Bien commun ». Défendre l’intérêt général signifie qu’il faut mettre de côté nos intérêts particuliers. Il y a un sacrifice à faire parce que l’intérêt général l’exige et qu’il met en concurrence des intérêts divergents, des avis différents, des évaluations concurrentes avec victoire de la majorité sur la minorité qui se plie. Il y a donc des perdants et des gagnants. Le Bien Commun, lui, appartient à tous et ne peut pas se diviser parce qu’il parle de ce qui importe vraiment et qui a de la valeur en soi indépendamment du fait que nous en ayons besoin ou pas, à la différence de ce qui n’a qu’une importance relative à nous, par la seule valeur que nous lui accordons. Par exemple : l’argent n’a pas de valeur en soi. Il n’ a de valeur que celle que nous lui accordons. C’est une évaluation faible. A l’inverse, l’art ou la nature ont de la valeur en soi indépendamment de ce que nous pouvons en penser. La communauté a de la valeur en soi. Elle est un Bien commun qui échappe à notre emprise, à notre évaluation. Il n’y a pas d’exclusion dans le Bien Commun. Il n’y a pas de perdants parce qu’il n’y a ni partage, ni répartition, ni division, ni soustraction, ni échange, ni transaction, ni commercialisation possible.
En 2ème approximation, on se dit qu’on fait une communauté parce qu’on a besoin les uns des autres. Mais là aussi, il faut apprendre à distinguer entre interdépendance et appartenance à la communauté. L’interdépendance part du principe évident et bien établi que l’on ne peut pas se suffire à soi-même. On cherche une communauté et on se met ensemble parce qu’on ne peut pas faire autrement. On pourrait presque parler de relations contractuelles parce que cela relève du donnant-donnant. Et certains viennent dans l’Église, dans la communauté parce qu’ils en ont besoin. C’est ainsi que l’apôtre Paul parle de la communauté comme d’un corps où chacun a besoin de l’autre (cf. 1 Co 12) : 12Le corps humain forme un tout, et pourtant il a beaucoup d’organes. Et tous ces organes, dans leur multiplicité, ne constituent qu’un seul corps. (…) 21C’est pourquoi l’œil ne saurait dire à la main : « Je n’ai pas besoin de toi », ni la tête aux pieds : « Je peux très bien me passer de vous. » (…). Il n’y a pas de jugement à poser sur cela et sans doute que c’est tant mieux. Mais cela ne veut pas dire qu’ils appartiennent à la communauté et qu’ils en sont membres. Parce que l’appartenance à la communauté désigne le fait d’être lié par autre chose qu’un besoin, un intérêt, un calcul, un contrat, un droit, un imaginaire identitaire ou une idéologie. Il y a entre nous autre chose que le manque, le besoin et l’intérêt bien compris. Il y a un ciment qui fait office de Bien Commun et de lien spirituel. Seuls celles et ceux qui découvrent ce lien spirituel deviennent membres à part entière de la communauté. Ils ne viennent pas plus par intérêt mais du fait de ce lien spirituel entre les membres de la communauté.
En lisant la Bible, je (re)découvre que c’est le lien avec Dieu qui fonde le lien dans la communauté. C’est Lui qui instaure ce lien entre nous, c’est Lui qui le crée, c’est lui qui l’entretient. La Bible parle du lien fraternel comme d’une dette devant Dieu et pas seulement de manière horizontale comme lien entre nous : le lien est vertical, transcendantal. Devant Dieu, je ne peux pas me délier de ce lien-là. Le lien familial et fraternel n’est pas disponible. Il ne relève pas de mon choix, de ma décision, ou de ma volonté mais d’un fait qui s’impose à moi. Et il est même possible que mon frère se comporte comme un « méchant » et me fasse du mal. Mais il n’empêche : c’est Dieu lui-même qui façonne le corps et qui crée le lien entre nous. « Il en va de même pour ceux qui sont unis à Christ. 13En effet, nous avons tous été baptisés dans un seul et même Esprit pour former un seul corps, que nous soyons Juifs ou non-Juifs, esclaves ou hommes libres. C’est de ce seul et même Esprit que nous avons tous reçu à boire. (…) Dieu a disposé les différentes parties de notre corps de manière à ce qu’on honore davantage celles qui manquent naturellement d’honneur. 25Il voulait par-là éviter toute division dans le corps et faire que chacun des membres ait le même souci des autres. » Je ne choisis pas ma communauté. Ce n’est pas un « qui se ressemble s’assemble » par une même croyance, un même intérêt, un même sang ou une même manière de prier, de chanter, de célébrer, de louer : c’est Dieu qui nous choisit. Voilà notre Bien Commun. Voilà ce qui nous permet aujourd’hui de lever le nez pour regarder l’avenir avec confiance.
Pasteur Samuel AMEDRO