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Edito vidéo – Février 24
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Site web de BFMTV. Je lis et je relis sans trop y croire : Emmanuel Macron a exhorté ce vendredi les industriels de la défense à « gagner en rapidité, en volume et en innovation » pour atteindre le « mode économie de guerre », fustigeant la « forme d’engourdissement » qui avait gagné le secteur avant l’invasion de l’Ukraine. « Nous devons amplifier la transformation commencée » (…) a lancé le chef de l’État aux industriels, lors de ses vœux aux Armées. Passer en mode « économie de guerre »… Suis-je le seul à qui cela donne froid dans le dos ? Suis-je le seul à entendre les bruits de bottes et la rhétorique martiale bourdonner à nos oreilles de manière récurrente voire obsédante ? Est-ce seulement de la rhétorique d’ailleurs ? Une manière un peu légère d’agiter le chiffon rouge ou faut-il y entendre autre chose qui se prépare ?
A cet instant, je me sens percuté par un passage de la Bible, un court extrait d’une lettre adressée par l’apôtre Paul aux chrétiens de la ville de Corinthe :
Voici ce que je veux dire, frères et sœurs : il reste peu de temps ; dès maintenant, que ceux qui sont mariés vivent comme s’ils n’étaient pas mariés, que ceux qui pleurent vivent comme s’ils n’étaient pas tristes, que ceux qui rient vivent comme s’ils n’étaient pas joyeux ; que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas ce qu’ils ont acheté, que ceux qui usent des biens de ce monde soient comme s’ils n’en usaient pas. Car ce monde, tel qu’il est, ne durera plus très longtemps.
J’aimerais que vous soyez libres de tout souci.
1 Corinthiens 7, 29-32
« Il reste peu de temps » « Le monde d’aujourd’hui ne va pas durer toujours » « Le temps se fait court » De quoi parle-t-il ? De l’imminence de la mort ? De la fin du monde ? De notre passage en mode « économie de guerre » ? Des images défilent dans ma tête en mode accéléré : guerre en Ukraine – exercice militaire grandeur nature pour l’OTAN – destruction totale de Gaza – menace nucléaire en Corée du Nord – élections aux États Unis – montée de l’extrême droite partout en Europe… « Il reste peu de temps » « Le monde d’aujourd’hui ne va pas durer toujours » « Le temps se fait court » Peut-être pensons-nous que l’apôtre Paul s’est trompé comme se sont toujours trompés tous les prophètes de malheur qui annonçaient la fin du monde ? Qu’est-ce que ça change cette rhétorique de l’imminence ? Qu’est-ce qu’elle provoque en nous ? Est-ce un sentiment d’urgence provoqué par la perception de la gravité des enjeux ? Ou sommes-nous pris au contraire dans une sorte de dissociation entre l’urgent, l’important et notre vie quotidienne qui suit son cours imperturbable ? Faisons-nous la politique de l’autruche et de déni de la réalité au nom de l’espérance qui nous habite ? Ou au contraire sommes-nous pris par un sentiment de panique provoqué par la peur d’une guerre mondiale imminente ?
L’idée de l’imminence nous parle de la mort et de l’éphémère de notre condition d’être humain, et de l’illusion que représentent nos conventions, la morale, nos attachements, nos émotions face à une autre réalité qui vient mettre une limite brutale aux projets, aux engagements, aux réalités connues. Quand l’inconnu s’approche, la maîtrise du réel est une illusion qui apparaît brutalement dans toute sa nudité. L’imminence met à nu la réalité de notre foi : en qui ou en quoi avons-nous confiance pour l’avenir ? Quelle attitude avons-nous vis à vis de nos émotions, de nos relations, de nos possessions ?
Revenons donc à ce que l’apôtre Paul suggère comme attitude dans une situation d’urgence et d’imminence cruciale : Faites « comme si »… Que ceux qui sont mariés vivent comme s’ils n’étaient pas mariés, que ceux qui pleurent vivent comme s’ils n’étaient pas tristes, que ceux qui rient vivent comme s’ils n’étaient pas joyeux ; que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas ce qu’ils ont acheté…
Je crois que Paul nous appelle à la dé-coïncidence pour voler le mot au philosophe François Jullien (dans son dernier livre : Dieu est… décoïncidence, Labor et Fides, 2024). Autrement dit, « ne pas coller à ce que l’on fait » ne veut pas dire « ne pas faire » mais bien gagner sa liberté vis à vis de ce que l’on est en train de faire, ne pas se noyer dans l’action. Il s’agit pour nous de réouvrir un espace pour ne pas nous perdre. L’enjeu de liberté est à conquérir pour sortir d’une position de réaction (quand on subit un événement) pour redevenir acteur et donc auteur de sa propre existence. Puissions-nous sortir de l’illusion, en interrogeant les liens qui structurent notre existence (mariage / propriété / émotions / travail) non pas pour les remettre en question ni même pour les dénigrer mais pour les voir autrement. Non pas tant un faire spécifique mais bien une manière d’être différente : il ne s’agit pas de se désengager mais de regarder ces liens et ces engagements du point de vue de la finitude, de la limite, du conditionné… Et si tout cela devait finir et disparaître brutalement, est-ce que ma raison d’être disparaîtrait avec eux ? Qu’est ce qui est ultime dans mon existence ? En interrogeant le sens de nos liens et de nos engagements dans le monde l’apôtre Paul questionne notre foi, ce à quoi nous accordons sens et importance décisive dans nos vies. Qu’est-ce qui a de la valeur en soi et pas uniquement parce que nous lui en accordons. Charles Taylor, philosophe canadien, appelle cela une évaluation forte par opposition à une évaluation faible de ce qui n’a de valeur que relative à ce qu’on lui accorde. Devant la réalité d’un sentiment d’imminence, justifié ou pas d’ailleurs, nous sommes appelés à la liberté intérieure : dans nos relations affectives, nos émotions positives ou négatives, notre rapport aux biens et aux objets, bref dans notre manière d’être dans le monde et d’en user en reposant la question du sens et de l’ultime. On comprend ici la spécificité chrétienne non pas tant dans un faire mais dans une manière d’être : la réalité de la finitude que nous percevons dans l’imminence nous renvoie vers l’essentiel, le cœur de notre foi chrétienne : la liberté offerte par notre foi en la résurrection, la puissance de vie qui nous vient au pied de la Croix.
Pasteur Samuel AMEDRO