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La mort est-elle le dieu de ce monde ?
La vie est une maladie sexuellement transmissible dont personne ne réchappe. 100% des vivants sont morts. Même les plus illustres. Donc si on doit donner une définition au dieu de ce monde, celui qui gagne à tous les coups, qui ramasse la mise à la fin, celui qui aura toujours le dernier mot, c’est le mort. La mort EST le dieu de ce monde.
C’est en se confrontant à cette douloureuse limite que l’homme est devenu humain. Sortant de sa condition animale, il s’est regardé mourir et a essayé de domestiquer cet événement, de le symboliser (ah les grottes de Lascaux et les peintures de la Chapelle Sixtine !), de le dompter en imaginant, qui une vie après la mort, qui une âme immortelle, qui une vie éternelle à mériter par des bonnes actions avec un enfer et un paradis, qui une réincarnation, etc. Bref, la Religion avec un R majuscule est née de cette peur de mourir que l’on voit à l’œuvre aussi bien dans le transhumanisme, le combat écologique, le refus des limites et des interdits, l’avidité sans borne, la compétition exacerbée entre les gens, les entreprises ou les nations, que dans la création artistique ou la surenchère radicale des identités et des idéologies… Partout la même angoisse devant l’inéluctable.
Qu’est-ce que les chrétiens ont à dire dans ce concert cacophonique qui déchire le monde autant qu’il le stimule ? Avons-nous une parole originale ? une révélation particulière à faire valoir face aux autres ? Allons-nous consonner avec la concurrence sur le mode « j’ai raison donc tu as tort » ? J’espère très sincèrement que nous allons arrêter ce jeu mortifère… Les chrétiens, n’en déplaise à ceux qui affirment le contraire, ne disposent d’aucun savoir particulier, aucune connaissance objective à opposer aux autres comme des preuves que l’on étale pour convaincre. Et si nous osons parler de résurrection des morts, ce n’est pas à partir d’une position de surplomb mais bien « par en-dessous », d’en-bas, du « fond du trou » (si vous me passez l’expression), du pied de la Croix. Là où toutes les certitudes s’arrêtent, où toutes les affirmations péremptoires se taisent pour laisser place au murmure du plus petit des apôtres, l’avorton comme il se qualifiait lui-même, qui n’a pas caché la dure réalité : « le dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort » (1 Co 15,26)… Je ne sais pas mais… Je ne sais pas mais je crois que la vie est plus forte que la mort. Je ne sais pas mais je crois qu’il faut planter un arbre. Je ne sais pas mais je crois qu’il est possible de remettre les gens debout.
Je ne sais pas mais j’aimerais risquer un autre mot que celui de « résurrection ». Celui-là, sans le renier, ressemble trop à un langage ésotérique réservé aux initiés… Je voudrais proposer le mot de « régénération » au sens de propre de « nouvelle genèse ». Il faut, me semble-t-il, arrêter de parler de manière théorique ou métaphysique. Pour tenter d’être entendu, et compris, je suggère d’essayer de rester au plus près de l’expérience réelle d’une vie empêchée, bloquée, essoufflée, amoindrie, diminuée… C’est là que la régénération de la vie prend tout son sens et toute son importance, j’allais dire vitale. Si ce que nous portons comme espérance ne nous concerne qu’après notre vie, quand la mort aura dit son dernier mot, alors nous décrédibilisons « ce trésor que nous portons dans des vases d’argiles » (2 Co 4,7). Ce que nous disons relève de l’ultracrépidarianisme (allez voir dans le dictionnaire la signification de ce mot !) autrement dit, nous parlons de ce que nous ne connaissons pas.
Je veux parler d’un monde et d’une vie régénérées ici et maintenant parce que ce mot de régénération dit à la fois :
- La possibilité d’un nouveau départ : non tout n’est pas foutu !
- D’une vitalité intérieure renouvelée : c’est ici et maintenant qu’il faut vivre debout
- L’expérience d’une libération vécue : arrêtons d’être obnubilés et fascinés par la mort
- La pureté d’une innocence retrouvée : un nouveau ciel et une nouvelle terre sont déjà là
- Et l’ouverture vers l’avenir : il n’y a pas de Destin inéluctable, l’histoire n’est pas terminée
L’idée de régénération implique aussi que notre vie vécue ne soit pas totalement annihilée par la mort et disparaisse complètement sans laisser de trace. Je crois qu’il y ait quelque chose de notre vie qui se garde, qui dure, conservé dans nos souvenirs comme dans la mémoire de Dieu, comme le bon grain de la parabole que le maître choisit de garder dans son grenier après avoir brûlé la mauvaise herbe au jour de la récolte. À la différence de la re-création qui semble dire « du passé faisons table rase », la régénération implique le regard d’amour de Dieu posé sur notre réalité, sur la beauté de notre existence avec tout ce qu’elle contient d’erreurs, de fautes, de fragilités, d’impossibilités, de blessures mais aussi de beauté, de bonté, de grandeur, de courage, de fidélité, de promesses tenues et de pardons donnés pour renaître. Ceci implique les cicatrices dans nos mains et nos côtés qui racontent l’épaisseur d’une vie quand les blessures et les échecs ne sont pas simplement niés, mis sous le tapis, mais revendiqués comme constitutifs de la perfection, de l’accomplissement et de la beauté de notre vie. Notre vie à de la valeur. La complétude de notre vie ne se fera pas sans nous. La régénération de notre existence ne peut pas et ne veut pas faire l’économie de l’histoire et du temps qui passe : elle en prend soin en guérissant ce qui a été malade, en nettoyant ce qui a été sali, en réparant ce qui a été abîmé, en sauvant ce qui a été perdu, en régénérant ce qui a été dégradé : blessés, peut-être mais vivants. Allez mes amis, la vie est la plus forte. Allons planter un arbre. Pour régénérer le monde. Joyeuses Pâques.
Pasteur Samuel AMEDRO