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Edito vidéo du pasteur AMEDRO – Décembre 2023
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J’aurais tellement aimé vous parler de Noël au royaume des bisounours. Avec des étoiles dans les yeux, des trémolos dans la voix et des guirlandes autour du cou, vous raconter l’histoire du petit Jésus tout miel et tout sucre, emmailloté dans la crèche sous les yeux attendris de l’âne et du bœuf. J’aurais tellement aimé vous aider à régresser vers votre enfance insouciante et fébrile, découvrant vos jouets au pied du sapin, l’âme bercée par les cantiques de nos grands-mères et, la gentillesse en bandoulière, magnifier une fois encore les joies des retrouvailles familiales comme dans les mauvais téléfilms américains qui inondent nos chaînes de télé…
MAIS, hélas, trois fois hélas, le monde est là tel qu’il est et non tel qu’on le fantasme. Et il nous interdit les bondieuseries mielleuses.
Le monde est là et les enfants sont tués par les terroristes du Hamas comme par les militaires d’Israël. Le monde est là et les pauvres sont toujours plus nombreux et ils refusent de se taire en baissant les yeux. Le monde est là et il essaie de franchir nos frontières simplement pour essayer de prendre sa part d’un gâteau que nous refusons de partager. Le monde est là et les pays se font la guerre ou se préparent à la faire en gonflant démesurément leurs budgets militaires. Le monde est là et les plus religieux d’entre nous nous terrorisent au nom de leurs convictions radicales. Le monde est là et, comme toujours, les juifs sont détestés parce qu’ils sont juifs, éternels poteaux indicateurs d’une catastrophe annoncée.
Ô mon ami, puissions-nous écouter ce monde qui nous questionne et nous empêche de faire de cette fête de Noël un grand divertissement pour enfants gâtés. Le grand philosophe chrétien Pascal parlait du divertissement comme ce qui nous permet de détourner le regard de l’essentiel… C’est ce que dénonçait aussi à sa manière le plus décapant et le plus féroce des fils de pasteur, un certain Nietzsche :
« Nous avons inventé le bonheur », disent les derniers humains et ils clignent des yeux. Ils ont quitté les contrées où il est dur de vivre : car l’on a besoin de chaleur. On aime encore le voisin et l’on se frotte à lui, car l’on a besoin de chaleur. Devenir malade et éprouver de la souffrance leur paraît relever du péché : on marche avec précaution. Fous donc celui qui trébuche encore sur des pierres ou des humains. Un peu de poison par-ci par-là : cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison, pour finir : cela donne une mort agréable. On travaille encore car le travail est un divertissement. Mais on prend soin que le divertissement ne soit pas trop fatiguant. On ne devient plus ni riche, ni pauvre, l’un et l’autre sont trop pénibles. Qui veut encore gouverner ? Qui veut encore obéir ? L’un et l’autre sont trop pénibles. Point de berger et un troupeau. Chacun veut la même chose : chacun sera pareil, celui qui sentira les choses autrement, ira volontairement à l’asile d’aliénés. « Jadis tout le monde était fou », disent les plus finauds et ils clignent des yeux. On est malin et l’on sait tout ce qui s’est passé : ainsi on n’en finit pas de se moquer. On se querelle encore mais on se réconciliera bientôt – sinon ça abîme l’estomac. On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais on révère la santé. « Nous avons inventé le bonheur », disent les derniers hommes et ils clignent des yeux. Et sur ces mots s’achèvera le premier discours de Zarathoustra.
Comprenez-vous ce que Nietzsche essaie de nous dire ? Nous détournons volontairement le regard de ce qui nous blesse et nous dérange. Nous cherchons notre petit bonheur à notre petite mesure ni trop fort, ni trop fou et nous clignons des yeux…
Et pourtant je ne réclame pas un moratoire sur Noël. Je ne demande pas qu’on laisse cette fête aux commerçants et aux idiots. Je ne souhaite pas qu’on délaisse Noël, bien au contraire.
Plus que jamais nous avons besoin de fêter Noël. Parce que Noël fait partie d’un cadre de référence qui préexiste à notre venue dans ce monde et qui fait partie de notre identité. Parce que la fête de Noël nous permet de dire ce qui, à nos yeux, a une valeur inestimable dans ce monde, ce qui fait sens, ce qui nous fait vibrer, ce qui est pour nous infiniment supérieur à tout le reste. Noël nous permet de dire qui nous sommes en ce qu’il dit ce qui est le plus important à nos yeux.
L’histoire des mages qui traversent le monde les bras chargés de cadeaux nous montre que la richesse n’est pas uniquement ni même principalement financière. Elle peut résider dans l’émerveillement et la gratitude qui nous fait déposer un cadeau aux pieds d’un enfant. Puissions-nous construire le monde nouveau sur cet émerveillement-là que nous découvrons dans les yeux des enfants quand ils ouvrent leurs cadeaux. Ces savants qui suivent une étoile dans le ciel qui les conduit du bout du monde jusqu’à Bethléem nous rappelle – et nous en avons bien besoin ! – qu’il y a une direction possible dans ce monde quand on suit l’étoile comme une boussole intérieure qui nous indique l’essentiel. Ce monde nous semble absurde et nous nous sentons perdus ? Heureux celles et ceux qui savent garder les yeux rivés sur ce qui donne sens, valeur et dignité à notre existence et à notre place dans ce monde.
A sa manière, Noël réaffirme avec force que nous ne sommes pas seuls pour nous battre et changer la réalité. Cette histoire donne vie à notre conviction forte que Dieu intervient et transperce le monde de sa présence. La naissance de cet enfant comme la naissance de chaque enfant, en ce qu’elle a d’unique et de novatrice, porte notre espérance d’un monde meilleur : la puissance de notre Dieu réside sans doute dans les commencements inattendus et inespérés. Comme le disait Bonhoeffer, « L’Église est le transpercement du monde par la merveille, par la présence du Dieu vivifiant, qui appelle de la mort à la vie.1 » C’est cela Noël : réaffirmer que, par Lui et en Lui, tout devient possible. Puissions-nous continuer à transpercer le monde par une parole vraie et vivante, une parole qui fasse sens, qui apaise, qui relève, qui encourage, qui change le monde et qui réouvre les possibles. C’est vrai que l’intervention de Dieu est et sera toujours contestée et la volonté du roi Hérode d’éliminer ce nouveau-né qu’il perçoit comme un concurrent potentiel nous le rappelle. C’est le signe qu’elle bouscule les situations acquises. En soi c’est une bonne nouvelle. Cela veut dire qu’il y a encore un espoir que les choses changent vraiment, que ce ne sera pas toujours un destin immuable dans lequel ce sont toujours les mêmes qui gagnent et toujours les mêmes qui perdent. « N’ayez pas peur, dit l’ange aux bergers, car je vous annonce une Bonne Nouvelle qui réjouira beaucoup tout le peuple ! » (Luc 2,10)
Et en ce moment on a vraiment besoin de bonnes nouvelles, vous ne trouvez pas ? De fait, en Lui et par Lui, il y a encore un espoir que les choses changent vraiment. N’est-ce pas là une excellente raison de fêter Noël ?
Pasteur Samuel AMEDRO