Autant le dire d’emblée, le Conseil presbytéral est fréquemment considéré comme un conseil d’administration, un cercle des Anciens, ou encore la locomotive de la communauté. On attend beaucoup de ce CP et du couple qu’il formera avec le pasteur. L’image du couple n’est d’ailleurs pas anodine, elle évoque l’idée que chacun se choisit et porte une part de la charge mentale de la vie paroissiale ; au point que l’expérience parfois récurrente d’une année sans pasteur peut déséquilibrer la vie communautaire et doit être préparée.
Une image à contresens de la réalité
Dans les faits, le Conseil presbytéral est cependant décalé des images projetées sur lui. A ceux qui penseraient que son rôle est de diriger l’Eglise au nom du Christ, la loi de 1905 rappelle prosaïquement qu’un conseil est une institution ecclésiale, c’est-à-dire qu’il porte la responsabilité juridique et administrative de la communauté, au même titre qu’un conseil d’administration d’association.
D’autres pourraient se nourrir de l’illusion que le Conseil soit le guide spirituel de la communauté, ou qu’il devrait avoir une vertu d’exemplarité chrétienne ; cette idée se heurte également à la réalité que, sauf exception notoire, aucun des membres n’est spécialiste en théologie, en accompagnement spirituel ou en exégèse, ni forcément modèle de foi et de vertu.
De même, pour les inconditionnels des projets audacieux, force est de constater que l’équipe de choc assumant la mission de locomotive des activités paroissiales n’existe pas. Le conseil n’est effectivement pas conçu comme une cellule de management, n’a pas forcément des capacités d’organisation solides et se fatiguerait vite à tracter l’ensemble des projets envisagés dans une paroisse.
L’Eglise n’est pas le monde
L’explication de ce décalage entre l’idée que certains paroissiens se font du CP et le constat de réalité, tient essentiellement aux différences trop oubliées entre la notion de mission et celle de vocation, entre la responsabilité et le ministère, entre l’élection et le discernement.
Dit autrement, aux yeux de la loi française, être conseiller presbytéral est un mandat électif pour une mission qui confère une responsabilité ; on doit donc pouvoir en attendre beaucoup. Mais aux yeux des pratiques de l’Eglise, il en va différemment : le conseiller est discerné dans sa vocation à exercer un ministère.
Dans cette phrase, le mot vocation implique que la personne est appelée et que son élection ne résulte pas de son initiative de candidature. Le terme de ministère évoque la primauté du service sur le pouvoir, lorsque tout acte posé est soupesé à l’aune du service rendu à Dieu pour l’Eglise qu’il rassemble lui-même. Le discernement fait allusion à la reconnaissance que d’autres portent sur une personne après avoir été éclairés par la prière.
Nul ne peut se préparer à cette tâche
Autant dire que ce groupe de personnes formant le conseil, ce sont des membres choisis dans la prière pour un service qu’ils ne se sentent pas forcément la capacité d’exercer, mais dont d’autres pensent qu’ils le peuvent. On est loin d’un conseil d’administration, d’un cercle d’anciens ou de l’idée de locomotive.
Que les fantasmes de gouvernement de l’Eglise se résument à une équipe d’amateurs est cependant absolument essentiel. Ce fut le cas des disciples en leur temps, des prophètes et des rois. Aucun n’était réellement préparé à la tâche ni digne aux yeux des hommes de l’assumer. C’est pourquoi la fonction du Conseil est centrale pour une paroisse, car là se joue toute la démarche de l’Eglise : elle n’existe pas pour elle-même mais par Jésus-Christ, elle ne tire pas sa force de son organisation mais de la Parole.
A quoi sert concrètement un Conseil ?
Heureusement, des formations existent pour mettre en place auprès des nouveaux venus les bases de fonctionnement et d’état d’esprit de ce groupe. Car il faut tout de même s’occuper du temple, du chauffage, de la convocation des études bibliques ou de la catéchèse, des feuilles de cultes et des prédicateurs, de la comptabilité… rien que tout cela demande des outils et une mise au point. On peut ainsi définir trois axes pour lesquels le Conseil presbytéral est indispensable. Le premier est l’organisation, dont les tâches peuvent être assumées par d’autres mais dont le souci doit être porté par une équipe. L’axe d’organisation vise la pérennité de l’association et de ses activités. Le second axe est celui de la présence au monde, que nul ne peut porter sinon le CP et le pasteur, charge à eux de se répartir les engagements : solidarité envers les plus faibles, visibilité auprès de la ville, communication, éventuellement projets particuliers de témoignage à l’extérieur. Le conseil porte là une responsabilité de veille.
Le troisième axe consiste enfin à veiller sur l’état spirituel de la communauté. Accueil, prière, organisation de visites ou d’entretiens, catéchèse, liturgie, toute la responsabilité de l’équipe est engagée pour soutenir la vie et l’écoute de la Parole. En termes d’utilité, un conseil peut se résumer à ces trois axes.
Porter aussi le souci de l’autre
Le couple pasteur-CP est ainsi au centre de la vie ecclésiale sans en être le cœur, puisque le cœur est la Parole et qu’elle n’appartient qu’à Dieu. Toute l’énergie du couple sera donc tournée vers cette Parole. Pour ce qu’il revient au CP d’accomplir, la mission consiste à examiner chaque action, chaque événement, chaque projet pour regarder en quoi il est exposé ou non à la Parole.
Car on le sait, ce n’est pas en créant un groupe de prière que l’on rend une communauté priante ; la communauté prie lorsque chaque action ou moment de vie peut devenir prière. Permettre à une communauté de vivre l’œcuménisme suppose qu’on ne multiplie pas les célébrations où viendront toujours les mêmes participants acquis à la cause, mais cela consiste à changer l’état d’esprit au sein de chaque activité ou prise de parole.
La spiritualité est ainsi faite qu’elle est intime. En chaque membre de la communauté gît un être dont la vie quotidienne n’a pas besoin de Dieu. En chacun réside aussi une aspiration capable de transformer chaque acte en réalité spirituelle ou en inspiration. Entre les deux, le point de bascule est invisible, intime, individuel et ne peut ni se prévoir ni se maitriser.
Il n’empêche que le rôle du CP, au centre de ce processus et de la communauté, est de favoriser l’émergence de ce point de bascule. Il ne le connait pas, ne l’identifie pas, Dieu seul sait et guide. Mais ainsi, de génération en génération, de petits groupes d’amateurs animés par la raison, leur force et surtout leur inspiration, travaillent dans la prière à laisser émerger du spirituel à l’intérieur des communautés locales. Et ça marche.
Hermann Grosswiller, Parole protestantes