Théologienne pratiquant primitivement mon engagement œcuménique dans des instances universitaires et académiques, j’ai souhaité pouvoir vivre l’expérience du Forum Chrétien Francophone afin de pouvoir éprouver moi-même ce dont j’avais tant entendu parler par d’autres. Confrontée à une charge de travail importante dans les jours précédents le Forum, je faillis renoncer à m’y rendre. C’eut été une grave erreur, tant le Forum a été riche de rencontres, de dialogues, d’échanges. Certaines dimensions du Forum m’ont plus particulièrement touchée. C’est elles que je partagerai avec vous.
Tout d’abord, l’ai été frappée par l’universalité du rassemblement opéré. En cette année de célébration du 1700ème anniversaire du concile de Nicée, l’église dans son universalité était rassemblée à l’Institut St Laurent de Lièges. Des quatres coins de l’horizon et des grandes familles d’église tous sont venus en un lieu, non pour concilier, mais se connaitre, partager, autour du Christ qui nous avait convoqués. Etaient réunis autour de Lui des membres et dirigeants de l’ensemble des familles ecclésiales, y compris de celles peu habituées aux rassemblements œcuméniques ou se montrant habituellement réservées par rapport à de telles entreprises ou bien ayant décidé, pour des raisons multiples, de ne pas y prendre part ou bien dont la structure ne permet pas la pratique des dialogues théologiques conventionnels. Etaient aussi présents des représentants de différentes Eglises ou institutions d’Eglises dont les relations avec certaines de leurs sœurs sont parfois altérées. Au sein de l’espace créé par la rencontre, ces divergences ont pu être mises de côté. Dans une même unité spatiale et temporelle, toutes et tous ont été intégrés sans exclusive dans l’assemblée, sans pour autant dénier leurs différences.
Ensuite, s’il y a plusieurs demeures dans la maison du Père (Jean 14,2), leurs portes solides, voire blindées, souvent renforcées par d’efficaces et dissuasifs système d’alarmes, restent usuellement bien fermées. Cette réalité collective est également valable pour chacun et chacune de nous. A Lièges, exceptionnellement, les portes se sont ouvertes, certes à des degrés divers, mais aucune n’est restée fermée. Nous avons individuellement et collectivement rencontré l’autre dans sa singularité et son altérité, dans sa manière propre d’incarner le Christ présent en lui ou elle, ce qui a pu exiger des pas de côté. Il était évidemment possible et tentant de passer du temps avec ses connaissances et amis, anciens ou nouveaux, mais il était impossible d’esquiver les rencontres non désirées ou non spontanément recherchées. Pourtant, certaines d’entre elles ont été retournantes. Toutes ont pu être vraies, grâce à l’absence d’enjeux liés aux débats théologiques ou doctrinaux, et à la prévalence accordée au « Je », synonyme d’horizontalité dans les relations entre participants, qu’ils soient clercs ou laïcs. Nous étions tous et toutes présents autour du Christ et avec lui, en tant que baptisés et croyants. La dimension formative du Forum s’est vécue lors des rencontres inattendues voulues ou non. Il est parfois difficile d’accepter de reconnaitre dans la communauté de l’autre les marques de l’église universelle quand le contenu de ses positions théologiques heurte littéralement nos convictions les plus intimes et le noyau de notre foi, solidement ancré dans notre être profond. Accepter d’ouvrir ou d’entrouvrir certaines fenêtres, à défaut de portes, est également synonyme de renoncements douloureux. J’ai personnellement tenté de consentir à ce mouvement, non sans peine, en considérant que cela faisait pleinement partie de ma participation à l’évènement, car nous étions tous et toutes égaux devant le Christ.
Enfin, je discerne que l’écoute de Dieu et des autres a joué un rôle fondamental dans le cheminement s’étant opéré en moi durant le Forum, particulièrement dans l’accueil de l’authenticité de l’expérience chrétienne de l’autre et au travers des différents récits de foi, particulièrement en petits groupes. J’ai été profondément émue par le témoignage d’André Antoine, l’un des derniers prêtres ouvriers de Belgique, portant en lui le désir de toujours rejoindre l’Autre quel qu’il soit et d’être auprès de lui un témoin si nécessaire silencieux de l’amour du Christ pour lui. L’absence de parole, signifiée par les larmes d’émotion d’un participant, restera également pour moi un souvenir poignant, m’ayant évoqué les pleurs du Christ sur Jérusalem, ainsi que ceux versés par les victimes d’abus de toutes sortes. Alors que mon église, l’église d’Angleterre, est confrontée à d’importantes difficultés qui ne me sont pas inconnues, ces sanglots ont été pour moi une consolation et un signe de la présence du Christ à nos côtés, encore et toujours.
Je suis arrivée au Forum un peu en aveugle, ignorant ce qui allait s’y passer, mais avec le désir profond de vivre pleinement et en vérité ce temps particulier. Je suis repartie de Lièges davantage consciente de nos fragilités communes mais aussi avec la volonté de porter sur l’autre un regard neuf, avec le désir d’approfondir le travail d’écoute entamé, car « heureux sont les curieux qui dans la rencontre de l’autre, n’en finissent pas de découvrir le Christ ».
Natacha TINTEROFF