La plupart des membres de l’Eglise ont approché la vie communautaire par le biais du culte, d’une catéchèse ou d’une occasion particulière, (mariage, enterrement, étude biblique, acte d’entraide, scoutisme, conférences ou concerts…).
La communauté est vulnérable
Pour ces chrétiens ancrés dans le protestantisme ou en recherche de sens et de spiritualité, la paroisse est le lieu le plus évident où une présence divine peut se dire et se vivre. Elle est également l’occasion de confronter des idées, une théologie personnelle, ou de ressentir la proximité d’autres personnes unies par la filiation à un même Père.
Cela ne veut pas dire que la communauté ainsi constituée soit toujours facile à vivre. Les personnalités demeurent en effet parfois plus fortes que la fraternité. Le sujet religieux lui-même est délicat à aborder tant il relève de l’ordre de l’intime ; il peut révéler en chaque croyant des fêlures et des zones extrêmement vulnérables aux avis contraires et aux critiques. Il est donc besoin a minima de gérer les débats, être à l’écoute de la diversité des situations et vigilant sur les questions d’autorité, afin d’éviter la foire d’empoigne que l’apôtre Paul décelait déjà en son temps dans diverses communautés.
Réguler les rapports avec l’Etat
Pour ce faire, le cadre d’une association de loi 1901 pourrait suffire. De prime abord, la gestion d’une communauté d’individus ne diffère pas, que l’on soit dans un club sportif ou une Eglise. Pourtant, les Eglises sont des regroupements humains particuliers.
La différence première avec toute autre association est le lien entre le cadre religieux et l’extérieur. Elle est liée à l’Histoire et à l’autorité de la loi civile. Les Eglises ont jadis constitué le socle des choix moraux voire éthiques de la société ; elles conservent d’ailleurs aujourd’hui une part de cette influence en matière éthique lorsqu’elles sont consultées sur des questions fondamentales de société. Le risque de ces prises de position était alors de confondre parfois religion et politique. La mise en place d’une loi de séparation entre la religion et l’Etat a permis de minimiser ce souci, du moins sur le papier.
Un fonctionnement très particulier
A cette différence associative héritée de l’Histoire, s’ajoutent des particularités plus actuelles et internes aux communautés. La plus évidente est le fonctionnement de l’Eglise par le discernement, c’est-à-dire la reconnaissance de l’influence de la prière et de l’Esprit saint sur la désignation des personnes auxquelles seront confiées des responsabilités. Ce mode de gouvernance non démocratique, même s’il est soumis à l’approbation de la communauté, nécessite néanmoins un appareil législatif interne adapté, assez éloigné des statuts d’une association classique relevant de la loi de 1901.
Evidente aussi, la particularité biblique d’un collège d’apôtres, traduite aujourd’hui dans l’obligation de prendre les principales décisions paroissiales dans la collégialité, nécessite une organisation particulière. Car derrière chaque décision, chaque choix d’Eglise, se cachent souvent des heures de discussions et de débats, des trésors de patience et d’écoute. Là où les responsables d’une association classique ou d’une entreprise prendraient une orientation après avoir consulté quelques spécialistes ou collaborateurs, l’Eglise cherche à s’approcher d’une unanimité, ou en tout cas d’une convergence acceptable par tous.
Quelle gestion de l’autorité ?
Avec ce mode de fonctionnement, se pose alors la redoutable question de l’autorité, car discernement et collégialité ne sont pas les moyens les plus immédiats pour gérer les conflits théologiques ou interpersonnels. Lorsqu’un membre de la communauté dysfonctionne ou fait de la prise de pouvoir, la structure associative de loi 1901 sait répondre par l’autorité de la présidence ou d’un Conseil. L’Eglise fonctionne différemment et peut paraître complexe. A tous les niveaux, des possibilités d’appel des décisions existent. Les choix mettant en jeu des personnes sont pris à bulletin secret et des outils de conciliation et de médiation sont prévus. Ces processus parfois longs sont un des chemins vers la collégialité ; ils sont aussi en cohérence avec l’approche biblique des conflits traités dans la discrétion (Matthieu 18).
Traduire des valeurs communes
Le préalable, c’est que pour être réellement efficace, une telle démarche doit être connue et partagée par tous les membres, c’est-à-dire se vivre au niveau de l’Eglise universelle. Cela nécessite que les mêmes règles s’appliquent à tous et que les paroisses aient les mêmes statuts et règlements intérieurs.
L’approche biblique qui préside aux statuts des associations et à l’organisation d’une paroisse rend compte de l’appartenance de l’Eglise à Dieu et non aux hommes. Elle traduit le fait que l’Eglise est avant tout un événement convoqué par le Seigneur et non une communauté de militants rassemblés par leurs convictions humaines.
En revanche, cette définition ecclésiale est rarement partagée par les pouvoirs publics. L’association de loi 1905 est un cadre qui permet de dialoguer avec la ville ou les représentants de l’Etat, ceux-ci reconnaissant à travers le président du Conseil presbytéral un interlocuteur légal, porte-parole et responsable. Mais en termes d’Eglise la présidence ne doit être que fonctionnelle. En Eglise le président préside les réunions mais n’a pas qualité de commandement ou d’inflexion des décisions, à cause des pratiques de collégialité et de discernement.
Une différence de culture
Cela occasionne parfois des écarts de compréhension, par exemple lorsqu’une préfecture interprétant soudain avec rigueur les termes de la loi, refuse momentanément la qualité d’association cultuelle à des paroisses presque centenaires. Il devient alors nécessaire d’expliciter la notion de laïcité souvent peu comprise. La particularité française de la séparation de l’Eglise et de l’Etat a l’avantage de garantir à chacun le droit d’exercer sa foi dans un cadre cultuel, défini indépendamment des convictions personnelles, des idéologies et des situations identitaires des responsables de la cité.
La compréhension de ce que représente une association cultuelle se révèle parfois problématique au sein-même de l’Eglise. Que cela soit dû à l’évangélisation, à l’arrivée de personnes venant d’autres Eglises ou à une évolution générale de la société, l’arrivée de nouveaux venus dans les paroisses engendre des écarts de compréhension importants.
Certains souhaitent vivre une communauté démocratique, d’autres entendent valoriser la foi dans l’espace public y compris politique, d’autres encore sont tentés de plaquer les règles de l’entreprise aux projets de l’Eglise, d’autres enfin s’étonnent du manque de financement des Entraides…
Il est évident qu’au sein des paroisses, le changement récent de la plupart des Conseils presbytéraux et notamment de leur bureau associatif risque d’engendrer des tensions, le temps de comprendre le fondement et l’organisation d’une Eglise protestante.
Partager l’apport protestant
Si les Conseillers de l’Eglise peuvent se former aux délicates pratiques de la collégialité et du discernement, les membres récents sont, eux, confrontés à une culture qui interroge ou intrigue et qu’ils n’ont pas forcément les moyens d’appréhender facilement. La plupart des paroisses, composées majoritairement de protestants « de souche », n’ont pas été confrontées à la nécessité de comprendre et d’expliquer ce qui composait le mode d’organisation de l’Eglise et son état d’esprit. Anciens et nouveaux se heurtent parfois à l’obligation d’expliquer des évidences qui n’en sont pas. Les statuts de l’association cultuelle permettent dans un premier temps de clarifier les choses et de viser une compréhension mutuelle. L’art du débat serein nécessite ensuite des qualités de dialogue et d’ouverture qui se travaillent avec le temps. C’est aussi ce que permet la sécurité du cadre de l’association cultuelle.
Hermann Grosswiller, Paroles protestantes