
Protestantisme, démocratie et presse
Pour penser le lien entre la démocratie et la presse, on peut partir d’une question : quelle est la différence entre Donald Trump, Vladimir Poutine et Xi Jinping ? Tous les trois ont été élus et ils ont tous les trois un rêve de toute-puissance qui les pousse à réunir le plus de pouvoirs sur leur personne. La différence est que les États-Unis sont encore une démocratie avec des contre-pouvoirs – les fameux checks and balances – alors qu’en Russie et en Chine, le parlement, la presse, les systèmes juridiques, les associations et les syndicats sont sous la coupe du dictateur. Il y a quelques mois, Jean-Marc Sauvé qui a été vice-président du Conseil d’État a accordé une interview à Réforme dans laquelle il disait : « Une démocratie ne se juge pas seulement à l’élection de son dirigeant, mais au respect d’un certain nombre de principes comme la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, l’intégrité des services publics, l’indépendance des médias, la liberté religieuse et le dynamisme des institutions intermédiaires que sont les syndicats, les associations ou les Églises… » Ces principes qualifient l’État de droit.
Si on cherche une justification biblique à cette compréhension du politique, on peut relever que dans l’exode qui raconte la constitution des enfants d’Israël en peuple, Moïse a créé trois ordres : il a nommé des juges, des prêtres et des anciens, ce qu’on peut considérer comme une ébauche de distinction entre le juridique, le religieux et le politique. Cette distinction était si structurante que Saül, le premier roi, a été déchu de sa royauté le jour où il a offert un sacrifice, c’est-à-dire qu’il n’a pas respecté la distinction entre le politique et le religieux (1 S 13.1-14). Par la suite, un autre contre-pouvoir est apparu avec la présence des prophètes qui ont été envoyés par Dieu pour rappeler aux rois l’exigence de la justice, aux prêtres l’exigence de la fidélité et aux juges l’exigence de l’équité. Les commentaires ont remarqué que lorsque le roi acceptait la contestation des prophètes le pays prospérait, alors que lorsque le roi voulait juguler la parole des prophètes ou qu’il a institué des prophètes de cour qui disaient que tout ce qu’il faisait était formidable, le pays déclinait. De nos jours, on peut faire l’analogie entre la parole des prophètes et une certaine presse qui a pour responsabilité de mettre en avant les valeurs qui fondent une démocratie et rappeler que les faits sont têtus.
Dans le protestantisme, Réforme se tient sur une corde raide entre un devoir de bienveillance vis-à-vis de l’Église et une liberté de parole par rapport à cette dernière. Dans mes fonctions de directeurs il m’est arrivé de recevoir des coups de fil de présidents d’Église qui n’ont pas apprécié tel ou tel article, mais je suis convaincu que l’indépendance de Réforme est la meilleure chose qui puisse arriver à l’Église.
Le protestantisme, ce sont des Églises, mais aussi des facultés de théologie, des mouvements de jeunesse, des sociétés d’histoire, des œuvres sociales… et une presse. Dans ce domaine Réforme est le seul titre papier indépendant qui reste si on exclut les journaux d’Église qui ont une autre fonction. Il porte la voix du protestantisme dans le monde politique et je peux témoigner que lorsqu’on appelle le service de presse de l’Élysée ou d’un ministère ils connaissent Réforme. Or Réforme est fragile. Depuis que j’en ai repris la direction, avec mon équipe on essaye de lutter contre la baisse des abonnements. Si Réforme n’existait pas, le protestantisme existerait toujours, mais je veux croire qu’il serait un peu moins riche. C’est pourquoi je ne peux que vous encourager à faire connaître Réforme dans vos communautés.
Antoine Nouis
Directeur de Réforme