
Cet entretien a eu lieu à Paris, en 1647. Il a été reconstitué par l’auteur à partir de quelques notes des deux protagonistes, l’un au faîte de sa gloire, l’autre, à 24 ans, saisi par une crise mystique. Ces deux immenses philosophes du siècle classique, par ailleurs hommes de science de génie, et catholiques pratiquants, étaient pourtant en marge de l’Eglise. Ils auraient pu s’entendre. Mais ils concluront de cet échange qu’ils n’ont plus rien à se dire. Leur sujet d’opposition ? Dieu lui-même. Pascal affirme qu’il est « un principe » pour Descartes, alors que lui le perçoit comme une « chaleur ». Ce dialogue tourne à la confrontation entre la foi et la raison. Pascal écrira : « je ne puis pardonner à Descartes, il n’a rien à faire de Dieu » ?
Si ce thème fait tellement écho aujourd’hui, c’est parce que la raison semble s’opposer à la foi. Léon XIV n’a-t-il pas dans un des premiers discours regretté que la foi semble aujourd’hui réservée à des illuminés ou des ignares, tant la foi semblait peu crédible. Et une foi intelligente ou raisonnée ne perd-t-elle pas du terrain en ce début du XXIème siècle face aux fondamentalistes ou aux littéralistes ?
Pour Saint Augustin, « il faut comprendre pour croire et croire pour comprendre ». Cette affirmation peut avoir de multiples déclinaisons. On peut croire sans comprendre, ou comprendre sans croire. Comprendre ou croire totalement, avec hésitation, ou ne pas parvenir à croire ou à comprendre. Enfin, dans notre société sécularisée, on décide majoritairement de ne plus chercher ni à croire ni à comprendre.
Quelle est la position de Pascal et de Descartes ? Pour Pascal, c’est plutôt le choix de croire pour comprendre, c’est la foi. Pour Descartes, c’est, le choix de comprendre pour croire, c’est donc la raison.
Pour Descartes « ce n’est pas Dieu qui a créé l’homme, c’est l’homme qui a créé Dieu ». Et la raison, ce bon sens qui est la chose la mieux partagée du monde, permet d’accéder au divin. Pour Pascal, «C’est le cœur qui sert Dieu, et non la raison.». Car Dieu est le tout autre, qui ne se laisse pas enserrer dans la raison humaine.
Le christianisme, est-ce Dieu qui vient vers l’homme par sa révélation en Jésus-Christ, ou l’homme qui accède à Dieu par sa sensibilité ou sa raison ? La grâce est appelée à la rescousse par le janséniste Pascal alors que le déisme pointe chez Descartes.
Ce débat continue à traverser la théologie contemporaine, et à diviser les croyants. Il nous concerne tous, parce que c’est aussi un débat sur l’homme autant que sur Dieu. Quelle est la force de ce que l’on appelle l’esprit critique, et celui-ci rend-il possible une connaissance et un raisonnement autonomes, indépendante de Dieu mais aussi de nos déterminismes culturels et sociaux ? L’esprit critique, ou le raisonnement sont-ils suffisants pour comprendre le monde et se comprendre ? L’esprit critique est-il incompatible avec Dieu ? La foi ne peut-elle pas être raisonnée ?
Descartes, est-ce le début de la fin pour le christianisme ? Ou est-ce le début d’une toute autre conception de la croyance, et d’un rapport plus moderne de l’homme à Dieu ?
Le débat imaginé par Brisville reste donc une brillante introduction à une réflexion qu’il faut poursuivre aujourd’hui dans notre société sécularisée où la foi n’est plus une tradition mais une option.
Alain Joubert, Président du conseil presbytéral d’Enghien