Dans l’Église protestante unie de France, en région parisienne, il suffit de s’asseoir un dimanche matin dans un temple pour s’en rendre compte : nos paroisses changent de visage. Les accents se croisent, les parcours de vie se rencontrent, les manières de prier et de chanter se diversifient. L’interculturalité n’est plus une idée abstraite : elle fait désormais partie de notre vie paroissiale ordinaire. Pour mieux comprendre ce phénomène, une enquête a été menée entre février et novembre dans quatre paroisses pilotes de la région parisienne : Montargis, Enghien-les-Bains, Versailles et Le Kremlin-Bicêtre. Pendant dix mois, plus de 90 personnes ont été rencontrées dans le cadre d’entretiens, et 209 fidèles ont répondu à un questionnaire.
Ce travail a été mené avec le soutien d’une équipe d’accompagnement composée de représentants des quatre paroisses, ainsi que de Samuel Amédro (président régional), Célestin Kiki (pasteur à Troyes, ancien SG de la Cevaa), Gilles Vidal (professeur à l’Institut Protestant de Théologie de Montpellier), Hanta Rajaona (membre du Conseil régional) et Vincent Nême-Peyron (secrétaire général du Défap). L’enquête a également bénéficié de l’appui scientifique du professeur Bernard Coyault, chercheur en anthropologie. Grâce à cette collaboration, l’étude a permis de mieux comprendre les réalités très diverses que vivent aujourd’hui les paroisses de l’Église protestante unie de France en région parisienne. L’objectif était simple : écouter, comprendre, et donner à voir ce que l’interculturalité produit concrètement dans la vie de nos Églises.
Les résultats montrent que toutes les paroisses ne vivent pas l’interculturalité de la même manière. Dans certaines, seules quelques personnes viennent d’un autre contexte culturel ; dans d’autres, elles sont majoritaires. Mais partout, la diversité interroge : dans les cultes, dans l’accueil, dans les conseils presbytéraux, dans la manière de dire ce qu’est « l’Église ».
Un chiffre parle de lui-même : en moyenne, près de 4 membres sur 10 sont nés hors de France métropolitaine. Ce n’est pas une simple évolution sociologique : c’est une réalité ecclésiale. Quand des femmes et des hommes de cultures, de langues et d’origines différentes partagent la même table de communion, c’est quelque chose de la Pentecôte qui devient visible aujourd’hui. L’universalité de l’Évangile prend chair dans des visages bien concrets. Mais l’enquête révèle aussi que cette richesse s’accompagne de fragilités. Vivre ensemble quand on ne prie pas de la même façon, qu’on ne chante pas de la même manière, qu’on n’exprime pas la foi avec les mêmes codes, n’est pas toujours évident. Non pas parce que la diversité serait un problème en soi, mais parce qu’elle vient parfois bousculer nos habitudes, nos sécurités, nos repères. Ainsi, 84 % des personnes interrogées disent se sentir à l’aise dans leur paroisse. Mais près de 60 % constatent que certaines manières de vivre la foi sont plus facilement acceptées que d’autres. Derrière ces chiffres se dessinent des réalités très concrètes : des styles de prière qui étonnent, des chants qui dérangent, des gestes qui surprennent. Lever les mains, répondre à haute voix, dire « Amen », exprimer sa joie ou sa peine de façon plus visible… Autant de pratiques qui peuvent être naturelles pour les uns et déroutantes pour les autres.
L’interculturalité agit alors comme un révélateur. Elle met en lumière ce que nous considérions comme « normal » sans même y penser. Elle nous oblige à nous poser de vraies questions : nos pratiques sont-elles des choix théologiques assumés, ou simplement des habitudes culturelles que nous avons sanctuarisées sans le vouloir ?
Au fond, l’interculturalité n’est pas seulement un défi existentiel. C’est une épreuve à la fois ecclésiale et ecclésiastique, au sens fort du terme, en ce sens qu’elle touche à la fois à notre manière de vivre la foi ensemble et aux structures mêmes par lesquelles l’Église s’organise et se gouverne. Elle nous renvoie à l’Évangile, à la vie de Jésus, à ces paroles : la table ouverte, l’accueil de l’étranger, le « il n’y a plus ni Juif ni Grec », la Pentecôte… Elle nous interroge très concrètement : Comment accueillir l’autre avec sa différence, et non malgré elle ? Comment faire de la place à plusieurs sensibilités dans une même église locale ? Comment veiller à ce que la diversité soit aussi représentée dans les instances de décision ? Comment former les responsables d’Église à ce monde pluriel qui est déjà le nôtre ?
Un signal fort se dégage de ces résultats : l’enquête ne met pas seulement en lumière des tensions. Elle fait aussi entendre un véritable désir. Plus d’une personne sur deux souhaite que la diversité culturelle soit davantage reconnue et valorisée dans l’Église. Beaucoup ne la voient pas comme une difficulté à corriger, mais comme un don à recevoir. Car l’unité chrétienne n’est pas l’uniformité. Elle se construit dans un esprit de fraternité où chacun peut rester lui-même, tout en se laissant transformer par la rencontre avec l’autre.
L’interculturalité est déjà un grand chantier ouvert dans l’EPUdF, particulièrement en région parisienne. Ce chantier n’est ni simple ni confortable, mais il est porteur d’espérance. Il dessine les contours d’une Église qui se construit jour après jour : dans la diversité des visages, dans la pluralité des voix, dans l’apprentissage patient de la rencontre, autour d’une même Parole et d’une même table. C’est à cette Église-là que nous sommes appelés à contribuer ensemble.
Rodolphe GOZEGBA
Chargé de Mission Interculturalité