Jésus lui-même nous surprend : « Ne pensez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée (le combat). » Ces mots provoquent et interrogent, mais ils révèlent une vérité essentielle : la paix selon le Christ n’a rien à voir avec celle que « le monde donne ». Notre paix lui fait horreur parce que justement elle n’est que le masque hideux de nos rancœurs ravalées. Elle n’est que l’espace et le temps que nous nous donnons avec beaucoup de cynisme pour permettre notre commerce des armes. Notre paix lui fait horreur parce qu’elle est toujours acquise sur le dos d’une victime innocente. Depuis que l’homme est homme, par des rites, par des sacrifices, par des prières, il purge les tensions et les violences mimétiques qui traversent sa communauté en désignant un responsable qu’il accuse d’être monstrueux, différent, dangereux, menaçant, diabolique. La paix enfin retrouvée sur le dos de ce bouc émissaire prouvant a posteriori que la victime était vraiment coupable, nécessairement coupable. Quelle est donc cette paix qui se gagne par le sang des innocents ? Les juifs de France, les enfants palestiniens, les familles d’Ukraine ou du Sud-Soudan, de Taïwan ou d’ailleurs…
La violence, depuis Caïn, naît toujours des quatre mêmes racines : l’ENVIE (que l’on appelle désir mimétique, l’avidité, la recherche des intérêts, des matières premières, des territoires, du pouvoir), la HAINE (problèmes relationnels à base de compétition, d’antipathie, de rejet, de jalousie, de vengeance), la PEUR (le sentiment de faire face à un danger, une intrusion, apparaît la peur de disparaître, la volonté d’assurer sa survie, sa sécurité, de protéger ses proches, son identité ou ce qui nous semble important dans nos valeurs) et l’HONNEUR (combien de conflits naissent d’une estime de soi qui se sent bafouée, d’un sentiment d’humiliation, de dignité menacée). Ces quatre racines pourries produisent toujours les mêmes fruits amers. Espérer une paix durable sans les déraciner est illusoire. C’est pourquoi Jésus nous appelle à une rupture radicale : pardonner à nos ennemis, refuser de rendre le mal pour le mal, tendre l’autre joue. Ce n’est pas une utopie naïve, mais une révolution spirituelle qui refuse de voir en l’autre un ennemi à abattre pour n’y voir qu’un frère à convaincre. Sur la croix, il incarne cette paix : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Vous pensez que ce n’est pas très clair ? Vous voulez des précisions ?
Exode 20,13 : Tu ne tueras point.
Esaïe 2,2-7 : On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre.
Matthieu 5,7-11.21ss : Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : tu ne tueras point (…) mais moi je vous dis : Quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement (…)
Luc 6,27-29 : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous détestent. Souhaitez du bien à ceux qui vous souhaitent du mal, priez pour ceux qui disent du mal de vous. Quand quelqu’un te frappe sur une joue, tends-lui aussi l’autre joue.
Matthieu 18,21-22 : Pierre s’approche de Jésus et lui demande : « Seigneur, quand mon frère me fait du mal, je devrai lui pardonner combien de fois ? Jusqu’à 7 fois ? » Jésus lui répond : « Je ne te dis pas jusqu’à 7 fois, mais jusqu’à 70 fois 7 fois.
Est-ce qu’il y a quelque chose qui n’est pas clair dans ces paroles ? Est-ce qu’il reste une zone d’ombre qu’il faudrait encore éclaircir, interpréter, expliquer, compléter ?
Et pourtant, inévitablement, nous commençons à contester, à critiquer, à objecter :
Il y a d’abord le « oui-mais » : Aimer nos ennemis ? Oui bien sûr… mais… euh, même Trump ? même Poutine ? même Netanyahou ? même Daesch, le Hamas ou le Hezbollah ? Et Jésus de répondre : Si vous aimez seulement ce qui vous aiment, quelle sera votre récompense ? Même les païens font la même chose ! Soyez donc parfaits comme votre Père céleste est parfait. (Matthieu 5,46-48)
Mais soyons honnêtes : nous savons combien il est difficile de vivre selon cet appel. Paul lui-même le confesse : « Le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je ne veux pas, je le fais. » Qui peut nous libérer de cette impasse ? Dieu seul. « Crée en moi un cœur pur », supplie le psalmiste, « mets en moi un esprit nouveau. »
La paix véritable commence par la transformation de nos cœurs. Elle ne naît pas de discours faussement gentils ou de compromis au goût de compromission, mais d’un engagement profond à suivre le Christ pour laisser Dieu déraciner ce qui nourrit la violence en nous. C’est là, et seulement là, que nous pourrons devenir artisans d’une paix authentique, capables de témoigner de cette promesse : « Heureux ceux qui font la paix, car ils seront appelés fils de Dieu. »
Pasteur Samuel AMEDRO