Chronique historique : Petite histoire des cimetières protestants parisiens

Le 9 juillet 1685, dans le cadre des arrêts vexatoires qui pleuvent sur les protestants français depuis une vingtaine d'années et face au succès galopant des dragonnades, Louis XIV signe à Versailles un arrêt :

« portant défenses à ceux de la Religion Prétendue Réformée d’avoir des cimetières dans les villes, bourgs et lieux du royaume où il n’y aura plus d’exercice de ladite RPR. »

 

En interdisant aux protestants le droit d’avoir une sépulture digne, il ne leur reste que deux solutions : se convertir ou bien se faire inhumer clandestinement dans sa propriété ou sa cave.

 

A cette époque, à Paris, les protestants se font enterrer dans trois cimetières.

  • En mai 1576, la Paix de Monsieur mettant un terme à la cinquième guerre de religion, contenait, à l’article VI, la disposition suivante : « Que pour l’enterrement des morts de ladicte religion estans en notre dite ville de fauxbourgs de Paris, leur sera baillé le cimetière de la Trinité ». Le cimetière de la Trinité s’étendait au niveau du 135 de la rue Saint-Denis. La partie réservée aux protestants, du côté de l’actuel passage Basfour, fut alors séparée par une palissade en bois. Les ensevelissements devaient se tenir au crépuscule.

 

  • En 1598, l’édit de Nantes rétablit les anciens cimetières confisqués aux huguenots pendant les guerres de religion dont celui de la Trinité, et prévoit spécialement pour Paris, dans son article 45, d’octroyer aux protestants « un lieu commode à choisir dans le faubourg Saint-Honoré ou dans le faubourg Saint-Denis ». Ce n’est pourtant qu’en 1614, par acheteur interposé, que les protestants acquirent un terrain appartenant à l’abbaye Sainte-Geneviève qui en ignorait sa future destination ! Le cimetière de la rue des Poules était à l’angle des actuelles rues Laromiguière et Amyot dans le Ve arrondissement à l’ombre du Panthéon.

 

  • Mais le plus célèbre, en usage de 1604 jusqu’à la Révocation, est le cimetière Saint- Germain, encore évoqué aujourd’hui par de grandes colonnes et une plaque apposée au 30, rue des Saints-Pères. Y sont notamment inhumés les familles du Cerceau et Gobelin, Salomon de Brosse et Valentin Conrart, premier secrétaire de l’Académie française. Dédié après 1685 à l’hôpital de la Charité, il est définitivement abandonné à la fin du XVIIIe siècle et les corps transportés aux catacombes.

 

La question des cimetières est loin d’être anecdotique. Elle est au contraire un véritable marqueur identitaire et politique. Lorsque la Réforme toucha Paris, ceux de la nouvelle religion furent enterrés dans les cimetières de leurs paroisses d’origine mais, bien vite, de violents incidents, dans les années 1560, leur interdirent la « terre bénite » des cimetières, sauf la parcelle du cimetière des Innocents réservée aux enfants morts et ainsi non baptisés. Les parisiens ont également longtemps conservé dans leur mémoire le sort des cadavres du massacre de la Saint-Barthélemy qui furent enfouis dans des fosses communes creusées à proximité des lieux où ils avaient été entassés ou amenés par le courant de la Seine. Ainsi 1200 cadavres, charriés par le fleuve et amoncelés à la tête de l’île aux Cygnes ont été ensevelis à l’emplacement de l’actuel Champs-de-Mars sous la tour Eiffel.

 

La question est aussi diplomatique. En 1720, le roi cède face à la pression pour offrir aux protestants étrangers qui meurent à Paris un cimetière qui leur soit dédié. C’est ainsi que jusqu’à la Révolution furent inhumés dans le cimetière de la rue de la Grange-aux-Belles (à l’emplacement actuel du théâtre de la Porte Saint-Martin) les nobles, ambassadeurs et autres protestants étrangers à l’instar de John Paul Jones, officier de marine écossais, un des héros de la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Le cimetière du Port-au-plâtre (actuel quai de la Rapée) servit également aux protestants étrangers et français. C’est là qu’y fut enterré en 1773 le philosophe Laurent Angliviel de la Beaumelle.

 

La Révolution puis Napoléon règlent le problème des cimetières en attribuant des parcelles à chaque culte. C’est ainsi qu’en 1807 le consistoire de Paris acquiert une section du tout nouveau cimetière du Père-Lachaise (divisions 39-40). Y reposent encore de nombreux pasteurs parisiens (Marron, Rabaut-Pommier, Charles Wagner et plus récemment Geoffroy de Turckheim), de grandes familles de la bourgeoisie protestante (Oberkampf, Pannier, Monod…) ou des personnalités à l’aura nationale (Benjamin Constant, Waddington, Cuvier, Wallace). Leurs tombes sont identifiables aux versets bibliques ou aux Bibles sculptées qui les ornent.

 

Pasteur Pierre-Adrien DUMAS

 

 

Sources :

  • Edits, déclarations et arrest concernant la religion prétendue réformée 1662-1751 précédés de l’Edit de Nantes, Paris, Fischbacher, 1885.
  • Philippe BRAUNSTEIN, L’Oratoire du Louvre et les protestants parisiens, Labor et Fides,
  • Francis GARRISSON, « Le cimetière des protestants étrangers (Paris, 1720-1803) », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, vol. 161, janvier-mars 2015.
  • Site internet de l’Oratoire du Louvre qui propose une visite du Père-Lachaise protestant (https://oratoiredulouvre.fr/patrimoine/visites/visite-du-pere-lachaise-protestant).

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