Le premier temple de la région parisienne : Monneaux (Aisne)
Après avoir quitté la route de Paris, longue ligne droite tranchant la plaine qui ondule sous les blés de la Brie, il faut faire un détour dans un vallon où les vignes nous signalent qu’on entre en Champagne. C’est là, dans le petit hameau de Monneaux (commune d’Essômes-sur-Marne) que s’élève un imposant et élégant temple. Le visiteur pourrait s’étonner car nous ne sommes pas en Cévennes ou en Dauphiné où chaque village a son temple. Pourtant, nous ne sommes qu’à une cinquantaine de kilomètres de Meaux où la Réforme française trouve ses origines.
En effet, les artisans comme les laboureurs et les vignerons de Meaux et ses alentours ont rapidement embrassé les idées nouvelles prêchées depuis la cathédrale qui, à partir de 1521, abrite un cénacle composé de l’évêque Briçonnet, de Guillaume Farel, Roussel, Lefèvre d’Etaples, Vatable, sous la protection de Marguerite de Navarre. Mais lorsqu’en 1546 quatorze « hérétiques » sont brûlés sur la place du marché de Meaux, un certain nombre de familles trouvent un refuge loin de la ville, et notamment sur les coteaux de Monneaux, protégés par les moines de l’abbaye d’Essômes.(1)
L’Église réformée de Monneaux est dressée dans les années 1560 sous l’impulsion du seigneur de Nogentel, bourg voisin, qui devient le protecteur de cette assemblée. Témoin de cette époque : une aiguière qui est toujours conservée précieusement. Les chanoines d’Essômes, dont un des prieurs, Picherel, avait assisté au colloque de Poissy, marqués par la moralité de leurs voisins réformés, cohabitent en bonne entente en cette époque de guerres de religion.(2)
Ce n’est que la révocation de l’Édit de Nantes qui vient troubler la quiétude des huguenots de Monneaux. Un certain nombre de familles émigrent au Refuge et particulièrement en Afrique du Sud où, de nos jours, un restaurant de spécialités françaises implanté face au mémorial de Franschhoek s’appelle : Monneaux !
Cependant, protégées par l’abbaye dont ils cultivent les vignobles, la plupart des familles restent et vivent leur foi dans la clandestinité. Dans les années 1689, Claude Brousson et Gardien Givry prêchent dans cette région. Durant la période du Désert, les protestants de Monneaux se réunissent dans la maison Briet qui possédait plusieurs issues pour s’enfuir, ou dans la maison Etienne qui conserve encore des versets inscrits sur les murs et les poutres. Un certain nombre de mariages se font à Tournai, les confirmations à l’ambassade de Hollande à Paris. Vers 1765, le pasteur du Désert Charmusy réorganise clandestinement les Églises du Nord de la Brie, Aisne et Thiérache, dont celle de Monneaux, avec la nomination d’anciens, conformément à la discipline calviniste. Il sera, en 1771, le dernier martyr protestant : arrêté lors d’un prêche à Nanteuil-lès- Meaux, roué de coups, il mourra quelques jours plus tard, à la prison de Meaux.(3)
La liberté retrouvé grâce à la Révolution, l’idée de bâtir un temple émerge très tôt. Dès 1792 la première pierre est posée. Elle porte pour inscription : « Je suis posée pour première pierre par M. Mauru, ministre des protestants et sitoiens qui composait la société de ce temple. Bâti par N. entrepreneur en 1792 an IV de la Liberté ».(4) Dédicacé le 28 juillet 1793, il est ainsi un des premiers temples rebâtis en France grâce à l’implication de tout le village qui a fourni les matériaux. L’architecture est simple : un grand rectangle éclairé par huit baies. Un orgue est acheté lors de la vente de l’Hôtel-Dieu de Château-Thierry sous la Révolution. En 1862, il est agrémenté d’un clocher imposant qui abrite l’horloge.
La Terreur voit la décapitation du pasteur Hervieux et les moines d’Essômes chassés de leur abbaye qui est incendiée. Ils trouvent refuge auprès de leurs fidèles amis, habitants de Monneaux.
Monneaux devient en 1804 le centre d’un nouveau Consistoire qui regroupe tous les protestants de l’Aisne, d’une partie de la Marne et du Nord de la Seine-et-Marne.(5) Ce n’est qu’en 1870 que le siège du Consistoire est transféré à Meaux.
En 1918, la seconde bataille de la Marne ravage la région. Le temple de Monneaux n’y échappe pas. Il est restauré sous l’impulsion de l’Église méthodiste épiscopale des États-Unis. En
1924, l’Église Réformée d’Amérique fait ériger un splendide temple-mémorial à Château-Thierry.
Dès lors, l’activité de la paroisse se tourne de plus en plus vers la sous-préfecture et le hameau se dépeuple en cette époque d’exode rural. En 1986 le temple de Monneaux est classé Monument historique. Actuellement, les cultes ont lieu ponctuellement aux beaux jours.
Pasteur Pierre-Adrien DUMAS
1 René-Jacques LOVY, Les origines de la Réforme française, Meaux 1518-1546, Paris, Libraire Protestante, 1959.
2 Christiane GUTTINGER, Les protestants de Monneaux, 450 ans d’une histoire exceptionnelle, texte d’une conférence donnée le 29 janvier 2017 au temple de Château-Thierry.
3 Christiane GUTTINGER, Les protestants des environs de Château-Thierry et Monneaux (Aisne), site internet des Amitiés huguenotes internationales, 13 février 2015 (https://www.huguenots.fr/2015/02/les-protestants-desenvirons-de-chateau-thierry-et-monneaux-aisne/).
4 René LAURENT, Promenade à travers les temples de France, Montpellier, Les presses du Languedoc, 1996.
5 Maurice MOUSSEAUX, La Brie protestante, Etrepilly, Presses du village C. de Bartillat, 1998 (1967).